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L’appli’ Jodel : acharnement toléré ou bienfaiteur du désespéré ?
C’est le genre d’application que l’on télécharge, par hasard, au détour de la cinquième page d’un Store en ligne. Le genre d’appli’ que l’on télécharge les soirs où l’on divague, les soirs où l’on (se) dit que, finalement, nos amis ont bien mieux à faire que de venir nous voir, les soirs où l’on pense que nous sommes les seuls… seuls. Détrompez-vous.
Jodel. Oubliez Franzl Lang et ses célèbres beuglantes folkloriques, et retenez plutôt « Anonymat ». À mi-chemin entre WhatsApp et Twitter, Jodel, « Yik Yak » en version anglophone, est une application pour smartphone qui permet à son utilisateur d’envoyer un message 100 % anonyme à tous les Jodelers, présents dans un rayon de 10 km. Jusqu’ici, l’application semble fade et sans intérêt, mais, visiblement, les universitaires suisses (et ce ne sont pas les seuls) la considèrent tout autrement. En Suède, en Norvège, au Danemark, en Finlande, ou encore en Espagne, Jodel envahit les amphis. Plus d’un million d’utilisateurs fait déjà partie de cette expérience communautaire anonyme.
Le maître chanteur (sans jeu de mots aucun) de cette affaire rondement menée s’appelle Alessio Avellan Borgmeyer. Le jeune Berlinois a 25 ans et est étudiant à l’université technique de Rhénanie-Wesphalie à Aix-la-Chapelle, en Allemagne. Visiblement, l’anonymat adule l’entrepreneur, puisque ce dernier a d’abord cofondé, en 2013, TellM, une application avec laquelle on pouvait partager des secrets dans son propre répertoire. Voilà qui est encore plus passionnant…
Le financement de l’application, lui, reste quelque peu opaque et hasardeux. L’un des investisseurs principal du projet, Atlantic Labs, a par exemple investi dans le développement de Soundcloud ou Goeuro. Global Founders Capital, qui a procédé à des investissements dans Facebook, LinkedIn ou Trivago, contribue, également, à la croissance de Jodel.
Pour l’instant, on ne peut (presque) pas relever de fausses notes, les violons semblent particulièrement bien accordés, mais, en partant à la rencontre de quelques Jodelers romands, j’ai pu m’apercevoir que, factuellement, la situation est tout autre. La logistique tient la route, certes, mais l’utilisation, elle, reste intrigante.
Obtenir. Confirmer. Installer. Ouvrir… Un petit raton laveur masqué apparaît sur l’écran de mon smartphone. Il me demande si je suis tombé dans une crevasse – la bonne blague. Est sous-entendu que je dois, évidemment, permettre à notre protagoniste de me géolocaliser. C’est chose faite, j’attends le chargement initial de l’application, et là (après une poignée de secondes qui me parue interminable), j’accède enfin à la timeline multicolore, mais minimaliste, de Jodel : « Qui pour aller se fumer un petit stick au bordu ? », « Les filles, avoir un orgasme à chaque rapport c’est essentiel pour vous ? », « Ca fait longtemps que je ne me suis pas autant ennuyé, ma vie est mortellement chiante ». Le bang, la baise et le plan-plan. Bref, le ton est donné.
Sur l’application, le comportement des utilisateurs est binaire – reflet de notre Société ; d’un côté les emmerdeurs, de l’autre, les emmerdés. Sur Facebook, il y a le « poke », sur Instagram le « #FoodPorn », sur Twitter Nadine Morano, mais, sur le célèbre passe-temps-universitaire, la notion de « reconnaissance », celle qui mène à la bêtise, est largement amplifiée. En causes : l’anonymat et surtout le « Karma ». Loin de Jodel l’idée de prôner les bâtons d’encens ou les bols chantants, le Karma est la monnaie virtuelle de la plate-forme allemande. Si un Jodel est jugé bon par ses utilisateurs, celui-ci est « up-voté ». Comprenez qu’à chaque vote positif, l’auteur-e recevra +10 de Karma. En cas de « down-vote », c’est un -5 de Karma.
Jusqu’ici, l’aspect partial de Jodel peut paraître dénué de gravité. Et pourtant, lorsque l’on se penche sur les conditions générales de l’application, la situation devient quelque peu gênante et sectaire. « Karma is a bitch, mais pas si vous êtes un Jodeler ! Récoltez-en et quelque chose de bien se produira », mentionne un petit encart. Évidemment, j’ai voulu en savoir plus.
Blogs, forums, FAQs… En français, en anglais, en allemand… J’ai potassé le web à la recherche du Quelque chose de bien. Après plus de 320 pages écumées, j’ai fini par trouver ; une fois atteint X de Karma, l’utilisateur devient « Modérateur » (rien de plus) et celui-ci aura pour tâches de censurer les photos exhibitionnistes, ainsi que « les propos haineux allant à l’encontre des minorités ». En synthèse : des gens non formés à la modération, qui s’y retrouvent, car jugés « drôles » par leurs contemporains. Je ris jaune, et je tente de comprendre.
Oui, bon, il est vrai que la notion primordiale du « stp » fut oubliée, mais, après une « tractopelle » et un « bon à rien », je suis arrivé à mes fins. J’en suis bien loin, il faut atteindre 50’000 unités de la précieuse monnaie pour devenir modérateur de l’application, et apparemment, sans garantie. Voilà qui me conforte. Jodel dispose d’un fonctionnement primaire, une sorte de fausse démocratie. Difficile d’en savoir plus, puisque le staff du phénomène est difficilement joignable.
Je me suis donc intéressé au deuxième aspect intrigant de l’appli’ : sa pérennité. De quelle manière peut-elle évoluer ? En a-t-elle vraiment besoin ? Est-ce viral ? Après quelques Jodels foireux, je suis tombé sur un utilisateur qui a bien accepté de répondre à mes quelques questions. Évidemment, il a souhaité rester anonyme. Nous l’appellerons Nico*. Quelques messages plus tard, il me redirige sur une autre application de chat anonyme : Telegram. Je reste prudent. La dernière fois que j’ai entendu parler de cette application, c’était dans un reportage sur la montée en flèche du djihadisme en France. Par son anonymat, elle est utilisée massivement par les candidats. Je me dis qu’elle peut et doit, aussi, servir à autre chose, alors, je tente. La plate-forme ne proposant pas de fonction « messages privés », je n’ai pas trop le choix.
« D’abord, faut que tu saches, Jodel, c’est plus vraiment ce que c’était, commence le bachelier en Sciences Po’. Avant, c’était très humoristique, déconne, légèretés… Et maintenant, c’est de plus en plus un “Tinder 2.0″ ». J’ai beau être de la génération qu’on qualifie souvent de « Z », je suis à la ramasse. Une nouvelle application au tableau ? Que vient-elle faire là-dedans ? « C’est une comparaison, rectifie Nico. Ce que je veux dire par-là, c’est que, maintenant, il n’y a plus que du cul. Une fille de 19 ans qui veut se faire un vieux de 35 (merci pour eux, ndlr.), c’est devenu une banalité. Avant, c’était des échanges de livres, de services… ».
Le sexe, c’est le gros sujet à nos âges. On est tous, quelque part, en manque, on se découvre des fantasmes chelou… Bref, on s’identifie à la plupart des Jodels.
« Ce qui est malheureux, c’est qu’on devient un peu accro au truc, continue le Jodeler. Le sexe, c’est le gros sujet à nos âges. On est tous en manque, on se découvre des fantasmes chelous… Bref, on s’identifie à la plupart des Jodels. C’est rassurant quelque part ». Je comprends l’idée, mais je lui propose de regarder vers l’avant ; que pourrait devenir la plate-forme ? « Tu sais, je pense que cette appli’ va évoluer de la même façon que notre société. Impossible à prévoir, donc. Il y aura certainement quelques améliorations, mais, sur le long terme, ce sera soit un top, soit un flop. C’est tout ».
Après y avoir mûrement réfléchi, je pense que Nico a passablement raison. Tel est le destin de ces applications « calques » de notre Société, leur avenir est incertain. Un peu de bon et beaucoup de mauvais, puis, soudainement, la balance s’inverse… pour un temps. Peut-être même huit. C’est celui de la musique, non ?
*Le prénom a été changé.
Arts
Et si le Web mourrait demain ?
À l’occasion des 30 ans du World Wide Web – créé au CERN en 1989 –, plus de 50 artistes et professionnels prendront part au 15e Mapping Festival, du 23 au 26 mai 2019, à Genève.
Il y a tout juste 30 ans, à Genève, naissait le World Wide Web (WWW). Trois décennies plus tard, la possibilité d’un effondrement de la Toile fait frémir.
«La fin d’Internet serait-elle pour bientôt ?», c’est la question que se sont posés les organisateurs du Mapping Festival. Depuis 2005, l’événement genevois se donne pour mission de favoriser les échanges et participer activement au développement du milieu des arts numériques. Ainsi, l’exposition The Dead Web – La fin viendra, au travers des arts, imaginer notre vie sans Internet.
Artistes suisses et québécois à l’honneur
Initialement composée de cinq artistes québécois, The Dead Web – La fin accueillera spécialement pour le Mapping Festival trois artistes suisses sélectionnés par le biais d’un appel à projets lancé début 2019. Les oeuvres présentées, qui plongeront le public dans un futur sans Internet, se veulent révélatrices de l’omniprésence du Web dans nos vies quotidiennes. Vernie le jeudi 23 mai, l’exposition s’étendra jusqu’au 2 juin, au Commun.
La créativité numérique à son apogée
Lors de ce vernissage, le DJ genevois Estebahn proposera un set entre downtempo, jungle et électro. Le week-end suivant, la Fonderie Kugler se transformera en laboratoire audio-visuel. Le vendredi 24, la performance délirante de Freeka Tet sera suivie du collectif russe Tundra, qui présentera sa toute dernière création, « Nomad », combinant vidéo et laser. La soirée se clôturera en beauté avec un DJ set du suisse Acid Kunt. Le samedi, ce sont Grand River & Marco C qui lanceront les festivités avec leur projet « 0,13% », voyage poétique entre humain et nature. La scène sera ensuite foulée par le duo Recent Arts (Tobias. et Valentina Berthelon) accompagné de Barbie Williams, avec « Skin », concert audiovisuel expérimental. La soirée terminera avec la DJ genevoise Audrey Danza.
Web célébré, Web interrogé
Lors de la troisième édition du forum «Paradigm_Shift», le public sera invité à explorer les impacts de la production abusive de nouvelles technologies. Sur deux jours, le Forum verra s’enchaîner tables rondes et conférences. Le vendredi débutera avec une prise de parole de Mark Garrett, co-fondateur de Furtherfield, suivi de «E-wasteland», une table ronde qui interrogera le gaspillage dans l’art numérique. En guise de clôture, le panel «The future web» – tenu en français – s’appuiera sur la thématique de l’exposition en repensant à l’impact d’Internet sur nos vies et à sa potentielle évolution. Nathalie Bachand, commissaire de l’exposition The Dead Web – La fin, participera à l’événement avec l’artiste Romain Tardy et Alexandre Monnin (président d’Adrastia), le tout modéré par Nicolas Nova.
Le 15e Mapping Festival se déroulera du 23 au 26 mai 2019, à Genève – www.mappingfestival.com
Web
Realsousgare, le compte Instagram qui balance les bobos lausannois
Le compte Instagram Realsousgare connaît depuis une semaine un succès fulgurant. Y sont postés des memes, qui tournent en dérision les bobos lausannois, habitant le « si trendy » quartier sous-gare.
Derrière cet humour sarcastique se cache un jeune Lausannois de 17 ans, qui souhaite rester anonyme. Surpris de son succès, il y trouve pourtant une explication : « Je pense que ça marche parce que les gens se reconnaissent dans mes publications. Ça faisait plusieurs années que je remarquais que le quartier sous-gare de Lausanne avait une certaine réputation, qu’il était en vogue. Et c’est simplement pour me moquer de ce phénomène que j’ai commencé à faire des memes, qui sont devenus de plus en plus critiques ».
Véritable phénomène de société, le meme est une image – souvent humoristique et décalée – qui est diffusée sur les réseaux sociaux. Et pour l’auteur de Realsousgare, cela va plus loin, les memes sont une satire sociale : « Ils sont un moyen de communication très efficace, très nouveau, très instantané, qui permet de rebondir facilement avec les évolutions à court terme, l’actualité, etc. C’est une vraie culture sur les réseaux sociaux. C’est même une forme d’art, sans vouloir être prétentieux ».
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Les victimes de Realsousgare sont les bobos – les bourgeois-bohèmes et leurs clichés : parents aisés, sensibles à l’écologie, situés politiquement plutôt à gauche et habitant les quartiers huppés. Pourtant, le Lausannois se défend de « taper sur les bobos » : « Je critique une catégorie de la population et de la société, qui existe dans beaucoup de pays, et qui est incarnée à Lausanne par ce qu’on appelle “les bobos”. Je critique avec désinvolture et cynisme leurs comportements, leurs habitudes, leurs modes de vie et leurs opinions. Absolument tout ce qu’ils incarnent en somme ».
En effet, les bobos semblent agacer passablement. Le créateur du profil a son explication : « Derrière, il y a une forme d’hypocrisie ou d’aveuglement vis-à-vis des réels problèmes de ce réjouissant début du 21e siècle. Réchauffement climatique, dégâts du capitalisme, guerres, injustices, entre autres. Ce qui m’agace légèrement (et je ne suis pas le seul), c’est les contradictions [des bobos, ndlr.] : faire du vélo, mais prendre l’avion, se soucier des conflits, mais ne pas s’engager, se plaindre des injustices sans les confronter, et dénoncer des inégalités tout en vivant dans une région extrêmement privilégiée ».
Et pourtant, l’auteur de Realsousgare est un peu bobo – vous l’auriez deviné ? « J’aime la culture, je fais du vélo et je vais parfois dans des magasins de seconde main. Je crois que l’endroit dans lequel on vit nous conditionne inévitablement (rires) », explique-t-il enfin.