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Société

Dans la vie de Nico Pereira, jeune transsexuel de 22 ans

© Elisa Ribeiro

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Terrasse bondée des Arches (Lausanne), en cette fin d’après-midi d’été. C’est là que je dois retrouver Nico Pereira, un jeune transsexuel de 22 ans. Le voilà qui marche d’un pas léger, mais décidé. Il s’avance vers moi tout sourire. Dix minutes plus tard, nous nous retrouvons assis avec une bière. Entre quatre yeux, il me raconte son expérience, sa vie et ses passions.

Il me parle de la musique qu’il aime : « tout », me dit-il, il est ouvert. Comme dans la vie. Quand on lui fait remarquer qu’il est adorable, il blague en jouant la racaille. Avant de conclure trente secondes plus tard, en riant : « Ça marche pas. Au bout de deux minutes, je serai à court d’inspiration de toute façon ». Il rêve de faire du cinéma, qu’il compare avec sa vie : « Le cinéma c’est jouer un rôle et j’ai l’impression que toute ma vie, ou en tout cas jusqu’à maintenant, j’ai dû en jouer un », avant de s’excuser d’être peut-être trop philosophique.

Avant et pendant toute son enfance, le il était un elle. Il explique ne pas avoir eu connaissance de la transsexualité, pendant longtemps. Il aimait pourtant jouer le papa ou s’habiller comme un garçon. Plus tard, à l’âge difficile de l’adolescence, il a essayé de se fondre dans le moule, de s’adapter. En vain. Il a finalement réalisé, à seize ans, que changer de sexe était possible : « Une fois que tu t’en rends compte, toute ton enfance te paraît logique ».

C’est peut-être un peu cliché, mais c’est une question de vie ou de mort.

Il était en première année de gymnase, quand on lui a parlé d’une femme qui avait changé de sexe. Il a tout de suite été intrigué. Il n’arrivait plus à oublier. Il lui a finalement parlé, sur les réseaux sociaux. Et là, le déclic. Il explique s’être dit : « Ça existe et c’est possible. Et à partir de là, la machine est lancée ». Mais le processus est long. Il faut attendre d’être majeur, pour les décisions juridiques et médicales. Pourtant, cette transformation lui était nécessaire : « Beaucoup de gens le disent et je le dirai aussi, c’est peut-être un peu cliché, mais c’est une question de vie ou de mort ».

Il a ensuite fallu l’annoncer. Il raconte, avec un sourire aux lèvres, comment il l’a dit à sa mère : « Je m’en rappellerai toute ma vie ». Un célèbre centre commercial de Crissier, dans un restaurant, à midi. Nico essaye d’expliquer son choix à sa mère, sans succès. Il est tétanisé, aucun mot ne sort. Sa mère le regarde alors en lui disant qu’elle sait : il souhaite devenir un garçon. « Je me suis décomposé sur place. Le pouvoir des mères sûrement ! » Il rit, puis nous explique à quel point sa mère a été géniale : « C’est comme si ça avait été normal ». Il raconte, en riant toujours, mais avec un regard plein d’admiration et de reconnaissance, qu’elle est une fois arrivée avec des dossiers pleins de recherches qu’elle avait menées, pour lui.

« On imagine le coming out, au salon, avec toute la famille et le PowerPoint pour expliquer le plan », mais la réalité est tout autre. Sa mère a joué le rôle d’intermédiaire entre Nico et sa famille. Il n’a jamais annoncé officiellement son changement de sexe. Il confesse avoir eu peur de la réaction de sa grand-mère, très croyante. Et pourtant, elle l’a bien pris. Elle a même retourné l’histoire en disant qu’elle le savait dès le début. Il raconte l’anecdote de sa naissance : « Elle était là à l’accouchement. Elle m’a vu naître et est allée dans la salle d’attente en criant que c’était un garçon, que c’était super. Ensuite, elle est revenue et a découvert que c’était une fille. Et elle m’a dit plus tard qu’elle était persuadée que c’était un garçon. » Le père de Nico l’a aussi accepté, malgré une relation difficile : « Mon père a cru qu’à cause de notre relation, il y avait eu un bouleversement qui m’avait mené à changer de sexe, alors que pas du tout ».

La bière est à moitié vide, Nico continue en révélant que ses amis l’ont également bien pris : « J’ai eu des amis pour qui, par leur religion ou leurs croyances, c’était bizarre. Mais, ils m’ont jamais dénigré […] Ils sont super ».

Je venais de quitter le monde de Pokemon et le médecin me demandait si j’étais conscient que c’était fini.

« En Suisse, la transsexualité est considérée comme une maladie », explique Nico. Il y a donc des avantages, c’est totalement remboursé par l’assurance, et des inconvénients, il est obligatoire de consulter un psychiatre, pendant au moins deux ans, pour qu’il détermine s’il n’y a pas schizophrénie. Nico souligne que cela reste une épreuve longue et difficile. À seize ans, il a dû décider qu’il aurait jamais d’enfants biologiques de sa vie : « Je venais de quitter le monde de Pokemon et le médecin me demandait si j’étais conscient que c’était fini ».

Quelque temps plus tard, sa mère a trouvé une association appelée Agnodice, qui s’occupe des personnes souhaitant changer de sexe. L’organisation a un réseau de médecins, de bénévoles et contacte les gymnases, entre autres. « Si tu vas au CHUV et que tu leur dis que tu as un problème d’identité, ils vont te faire poireauter et ne jamais te faire commencer de traitements ». Nico a quitté le gymnase de Sévelin, pour celui de la Cité (Lausanne). L’association a contacté le nouvel établissement, qui a pris des mesures. Changement de prénom et de statut, réunion avec la direction, les professeurs et suivi de l’infirmière. Il a ensuite pu commencer le traitement, parce qu’il voyait déjà une psychiatre, pour d’autres raisons, ce qui a raccourci les deux ans minimum exigés.

Et il se rend compte de la chance qu’il a eu d’avoir cet entourage : « Les gens racontaient leur histoire [au groupe de soutien, ndlr.], j’avais le cœur déchiré. J’étais presque mal de dire que ça allait de ce côté-là ». Même si tout n’a bien évidemment pas toujours été tout rose : « Ça parle vite à Lausanne. Il y a pas mal de gens qui me connaissent et que je connais pas ». Pour Nico, les moments les plus durs étaient pendant la transformation : « Les gens se posaient la question. Et tant que tu es pas bien hormoné, c’est difficile […] Et tu te retrouves dans une situation très gênante ». Avec les regards et les messes basses, il ne savait plus où se mettre. Il a longtemps évité le médecin ou la piscine, de véritables épreuves pour lui à l’époque.

Paradoxalement, la communauté lesbienne a très mal réagi à son changement de sexe. Car Nico a toujours aimé les femmes. Et un jour, après avoir pris la décision de devenir un garçon, on l’a abordé : « Il y a des lesbiennes qui sont venues vers moi, pour me dire que j’avais choisi la solution de facilité, parce que c’est difficile d’être homosexuel. Ça m’a profondément blessé ». Il explique que dans la communauté – terme qu’il déteste, car il n’aime pas être mis dans des cases – le T de LGBT est mis à l’écart : « Il y a des transsexuels à la Gay Pride, mais c’est pas ce qui est mis en avant. Il y a des Drag Queens, mais c’est pas la même chose. Les gens confondent travestissement et transsexualisme. Nous on a des changements à vie, chirurgicaux ». Finalement, cette acceptation est très relative, selon Nico : « Il y a des gens, tu pourrais penser que c’est les plus fermés d’esprit, alors que non ». Il raconte qu’à l’enterrement de sa tante, les bonnes sœurs l’ont pris pour le petit-fils, mais quand on leur a expliqué, elles ont extrêmement bien réagi. « Les gens pensent qu’on va devenir différent », explique Nico, alors que c’est tout le contraire : « J’adapte mon corps à qui je suis […] On apprend pas à devenir mec, c’est ce qu’on est ».

Les filles sont intéressées, elles te voient en soirée, elles t’ajoutent sur Facebook. Et dès qu’elles le savent, ça vrille complètement.

Après avoir bu la dernière gorgée de sa bière, Nico enchaîne sur sa vie sentimentale, qui est un des sujets qui le touchent le plus. « Les filles sont intéressées, elles te voient en soirée, elles t’ajoutent sur Facebook. Et dès qu’elles le savent, ça vrille complètement ». Il le comprend, mais en souffre quand même. Surtout que, souvent, il fait face à des arguments irrationnels. Le comportement qu’il doit adopter, ou la solution miracle, reste une question sans réponse et le restera sûrement.

Nico continue sur sa lancée, avec énergie, en racontant que son ex-copine a suivi toute sa transition : « Elle en a aussi bavé. Parce que j’étais très jaloux des mecs ». Une jalousie qui s’explique par le fait qu’il se sentait incomplet, qu’il n’arrivait pas à faire la part des choses et qu’il pensait ne pas pouvoir rivaliser. Et pourtant : « Je pense que sans elle, la moitié des choses j’aurais mis plus de temps à les faire […] Je lui en serai toujours reconnaissant. Elle a été là de A à Z ». Mais malgré tout, ce sentiment de ne pas être à la hauteur persiste. Cela reste compliqué pour lui aujourd’hui et il sait qu’il n’est pas au bout de ses peines : « Je sais que ça va pas être un long fleuve tranquille ».

Puis, il soulève le point du manque d’information sur la transsexualité : « Si j’avais pas su que ça existait, j’en aurais pas parlé. Ou j’aurais attendu la moitié de ma vie ». Il cite comme exemple les hommes présents au groupe de soutien qui ont attendu quarante ou cinquante ans, parce qu’ils ne savaient pas que c’était possible. Pour lui, le problème vient, entre autres, des parents : « Ils sont d’une autre génération […] Ils ont peur qu’on endoctrine les enfants et qu’à cause de ça, ils deviennent bizarres […] Mais c’est comme toutes les personnes qui sortent des normes sociales ».

Il fait aujourd’hui partie de groupes de discussions sur les réseaux sociaux et s’est porté volontaire pour parrainer des jeunes, via l’association Agnodice, pour leur donner des conseils, ou juste être présent : « On a tous un parcours différent. Il y a pas de marche à suivre. Tu vas d’un point A à un point B, mais avec des chemins différents ».

Nico joue avec son piercing, remet discrètement ses cheveux en place et conclut : « Le plus dur c’est de partir, de commencer ».

Société

Paléo : le lexique québécois pour «se payer la traite» au Village du Monde

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En 2008, l'Europe de l'Est fut mise en lumière grâce au Village du Monde – © Paléo / Boris Soula

Pour sa 17e édition, le Village du Monde du Paléo Festival mettra le cap sur le Québec et sa culture. Voici quelques locutions pour comprendre crissement mieux le français de la Belle Province.

«Si vous t’as la parlure québécoise, tu vas clairement t’achaler sur ces lignes-là». Comprenez : si vous parlez le français québécois, vous vous ennuierez certainement à la lecture de cet article.

Le Paléo Festival commence mardi, pour une 44e édition qui fera la part belle à la francophonie. Et pour cause, le traditionnel Village du Monde du festival, avec ses concerts, décors, et son artisanat typique, mettra le cap cette année sur le Québec et sa culture.

Lire aussi :  Douce francophonie et rap solide au Paléo

Depuis de nombreuses années déjà, les autres francophones du monde, qui prennent terre en sol québécois, pour une nuit ou pour la vie, tergiversent volontiers sur le sens du «dialecte» pratiqué par les Québécois, nos cousins «pure laine».

Alors, pour avoir une parlure impeccable auprès de votre voisin de comptoir, Slash vous propose un lexique québécois faisant appel à quelques locutions bien utiles sur la Plaine de l’Asse (ou pas).

Parlure empreinte d’hisoire

Selon Le Petit Livre du parler québécois de Claire Armange (éd. First,  2016), le vocabulaire de la Belle Province est riche de mots liés à son histoire. Le langage québécois, on s’en doute fort, doit la grande partie de ses origines à l’ancien français. Les Québécois défendent avec fierté la francophonie face à la prépondérance de la langue anglaise en Amérique du Nord.

Langue des premiers colons venus peupler la Nouvelle-France, il a subi, au fil des époques, des gouvernances et des influences des Premières Nations, un métissage avec les langues autochtones aussi bien qu’avec la langue des conquérants anglais.

Le français des Québécois, alors, se teinte de plusieurs anglicismes, de quelques termes autochtones et de beaucoup d’expressions issues d’une culture agréablement imagée et parfois complètement fantaisiste. On y retrouve, notamment :

des régionalismes français bavasser (bavarder, dire des médisances), astheure (maintenant), la broue (la mousse), prendre son respir (retenir son souffle), maganer (abîmer, maltraiter) ou encore souventes fois (souvent) ;

des emprunts faits à la langue amérindienne : un achigan (un poisson), un atoca (une canneberge), la babiche (une lanière de cuir) ;

des québécismes, des mots ou expressions propres au français du Québec : bûcher (abattre un arbre, couper du bois), il mouille (il pleut), la poudrerie (une fine neige tourbillonnante), une secousse (un certain temps), le solage d’une maison (les fondations) ou une tuque (un bonnet de laine).

Lexique

Achaler (v.) – ennuyer, importuner

Ce verbe provient probablement du verbe chaloir qui signifiait approximativement importuner de façon excessive dans un vieux dialecte normand.


Bardasser (v.) – action de chahuter, de bousculer quelqu’un ou quelque chose / action de faire du tapage

Verbe à l’origine incertaine. Emprunté soit du verbe poitevin «bordanser» (balancer, secouer), soit de l’onomatopée par laquelle on désigne le bruit que faisaient les soldats en emmenant leur «barda».


Bécosse (n.f.) – toilettes

Mot probablement né d’une déformation de la locution anglaise «back house», qui se traduit par «maison à l’arrière». Cette dénomination désignait autrefois les latrines extérieures.


Bourré, être (exp.) – avoir trop mangé

Expression francophone qui peut signifier également «soul» ou «riche».


Calice (inter.) – sacre manifestant la colère ou l’indignation

Le calice, du grec kulix, est un vase sacré de la liturgie chrétienne, présentant la forme d’une coupe évasée portée sur un pied élevé.


Char (n.m.) – voiture, bagnole

Ce mot, dérivé du latin carrus, a longtemps été perçu comme un anglicisme, à tort, au Québec, étant donné sa similarité avec le mot «car». Néanmoins, le Cambridge Dictionary le réfère comme un mot d’origines françaises et latines.


Catin (n.f.) – petite fille

Outre son sens français de prostituée, le terme «catin» au Québec, retrouve son sens de pureté. En effet, le mot «catin» vient du prénom Catherine, qui lui vient du mot grec katharos, qui signifie «la pureté». En France, on lui attribuait, autrefois, le sens de jeune fille de campagne, ce qui expliquerait le sens québécois.


Frencher (v.)  rouler une pelle

Ce verbe provient du verbe anglais «to french kiss» (embrasser).


Fou comme un balai, être (exp.) – personne qui a perdu la raison, dont le comportement semble insensé

Cette locution tire son origine du 19e siècle. La confection de ces outils ménagers se faisait à la main par des ouvrières, et le talent de ces dernières était un atout important. Lorsque le cordage n’était pas bien fait, la direction que prenait le balai était imprévisible. Le balai n’en faisait qu’à sa tête, tel un fou.


Gosse (n.f.) – synonyme familier de «testicule»

Ce mot est apparenté à «gousse», qui signifie une enveloppe des graines des légumineuses. Utilisé comme verbe, comme dans «tu me gosses», il s’apparente à «tu m’énerves».


Hambourgeois (n.m.) – hamburger

Mot québécois utilisé pour franciser le terme anglais «hamburger».

Itinérant.e (n.m.f.) – sans-abri

Les termes «itinérant» et «itinérante» font maintenant partie du vocabulaire de la sociologie au Québec. Dans le registre courant du français dit «de France» (en opposition au français québécois), l’on parle de «sans-abri», définissant ainsi ce groupe social en rapport à un bien matériel qu’il ne possèdent pas. Tandis que, de l’autre côté de l’Atlantique, cette catégorie de personnes est définie par son activité : le fait d’errer.


Joual (n.m.) – façon de parler dérivée du français de France

Le mot provient de «cheval», prononcé [jwal], comme en français du 17e siècle, utilisé en France jusque dans les années 1960. Aujourd’hui, il définit la façon de dénigrer le parler québécois («parler joual»).


Line-up (n.m.) – file d’attente, queue

Terminologie directement traduite de l’anglais. «Faire un line-up», c’est donc patienter dans la file d’attente.


Liqueur (n.f.) – boisson gazeuse

On ne s’étonnera donc pas qu’une mère propose à ses jeunes enfants d’aller «boire une liqueur», en attendant le concert de Robert Charlebois.


Se payer la traite (exp.) – se payer du bon temps

La traite était un moyen de définir une dette commerciale durant le Moyen-Âge. Il s’agissait d’un document qui fixait les modalités de remboursement (une sorte de crédit). Ainsi, l’expression trouve son origine dans ce premier sens : s’offrir quelque chose sans payer immédiatement, sous-entendu dépenser sans compter.


Pissou, être (exp.) – personne peureuse, lâche, qui recule devant le moindre obstacle

Cette expression, utilisée jadis en France, provient du latin pissiare qui veut dire «uriner». Pissou voudrait dire «enfant qui pisse au lit».


Robine (n.f.) – alcool fort et de mauvaise qualité

Mot calque de l’anglais «rubbing (alcohol)» (littéralement de l’alcool à friction).


Tabarnak / tabernacle (inter.) – juron exprimant le mécontentement, la colère

Déformation du mot français «tabernacle», qui, dans une église catholique, est une armoire contenant le ciboire et ses hosties. Dans la religion hébraïque, il s’agit d’une tente dressée, qui abritait l’arche d’alliance et les objets sacrés.


Tiguidou, c’est (exp.) – génial, super, trop bien

Ce terme est une pure création québécoise, à l’origine floue. La théorie la plus plausible est celle d’une variante de l’expression écossaise «tickety-boo», qui signifie «aller lentement, mais sûrement».


Tomber en amour (exp.) – tomber amoureux

Cette expression est la traduction littérale de la version anglophone «to fall in love».


Il n’y a pas de quoi se pitcher sur les murs (exp.) – se dit d’une chose qui n’a rien d’exceptionnel

«Ce concert des Twenty Øne Piløts était sympa, mais il n’y a pas de quoi se pitcher sur les murs».


Le 44e Paléo Festival se déroule du 23 au 28 juillet 2019, à Nyon. Infos, bourse au billets et programme complet sur www.paleo.ch. 

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Actu

Ceci pourrait être l’article d’une femme*

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Le 14 juin 1991 a eu lieu la première "Grève des femmes*" – Image : Keystone

Aujourd’hui, partout en Suisse a lieu la «Grève des femmes*». Sensible à la cause, Slash Média se fait porte-voix du manifeste rédigé en décembre 2018 par les Collectifs romands pour la grève féministe et des femmes.

Un peu partout dans le monde, nous assistons à un renouveau des mouvements féministes : #metoo a contribué à diffuser et libérer la parole des femmes* et, grâce aux réseaux sociaux, a eu un écho planétaire.

En Suisse aussi, le sexisme, les inégalités et les violences à l’encontre des femmes* persistent, malgré un discours politiquement correct sur l’égalité et bien que l’égalité soit inscrite dans la Constitution fédérale depuis 1981.

«Les femmes bras croisés, le pays perd pied !»

Au pays de la prétendue paix du travail, les femmes ont déjà fait une grève qui a mobilisé 500’000 personnes ! C’était le 14 juin 1991, dix ans après l’entrée en vigueur de l’article constitutionnel sur l’égalité. Ce jour-là, les femmes ont croisé les bras : la grève a eu lieu non seulement sur les lieux de travail, mais aussi dans les foyers, où elles ont arrêté de faire le ménage, ont suspendu leurs balais aux fenêtres, n’ont pas cuisiné ni pris en charge les enfants.

La grève des femmes de 1991 avait surpris tout le monde. Un immense élan vers l’égalité avait secoué le pays : nous avons depuis lors obtenu des résultats concrets comme une Loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes, un congé maternité, le splitting et le bonus éducatif dans l’AVS, la solution dite des délais en matière d’avortement, des mesures de lutte contre les violences domestiques.

Aujourd’hui, nous avons besoin d’un nouvel élan ! Le 22 septembre 2018, 20’000 femmes* et hommes solidaires ont manifesté à Berne pour l’égalité et contre les discriminations. Le début d’une mobilisation que nous voulons poursuivre jusqu’à la grève féministe et des femmes* le 14 juin 2019 !

L’égalité stagne : les femmes* se mobilisent !

Nous sommes toutes exposées au sexisme, aux discriminations, aux stéréotypes et aux violences, sur le lieu de travail, à la maison ou dans la rue. Mais nous savons que des oppressions spécifiques basées sur l’appartenance de race, de classe ou sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre se combinent, si bien que certaines d’entre nous peuvent subir des discriminations multiples. Faire vivre la solidarité entre les femmes* du monde entier, c’est un des objectifs de notre grève.

Fortes de nos diversités, nous refusons toute instrumentalisation de nos luttes, notamment à des fins racistes. Nous revendiquons le droit de vivre libres dans une société qui garantit des droits égaux pour toutes*.

Durant ces vingt dernières années, nous avons assisté à la montée des politiques néolibérales: les services publics ont été remis en cause, les prestations ont été réduites, des secteurs comme la santé ont été soumis à la logique marchande, les conditions de travail et de retraite ont été péjorées. L’économie capitaliste veut maximiser les profits au détriment de l’être humain et de l’équilibre écologique. Les femmes* sont les premières à en souffrir en tant que travailleuses précaires, migrantes ou encore mères, souvent seules responsables du foyer et des enfants.

Comme le disent les Islandaises: «Ne changeons pas les femmes, changeons la société !». Car l’égalité ne peut se réaliser dans un monde où seul compte l’argent, mais nécessite de construire une société où ce qui compte est le respect et le bien-être de chaque être humain.

Un mois avant la journée de la “Grève des femmes*”, des actions ont eu lieu dans toute la Suisse. Ici, à Genève – DR

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Le 14 juin 2019, nous nous mettrons en grève sur nos lieux de travail, dans nos foyers et nous occuperons l’espace public

Parce que nous en avons assez des inégalités salariales et des discriminations dans le monde du travail. Parce que nous voulons des rentes qui nous permettent de vivre dignement. Parce que nous voulons que le travail domestique, éducatif et de soins soit reconnu et partagé, de même que la charge mentale. Parce que nous nous épuisons à travailler, nous voulons réduire le temps de travail. Parce que le travail éducatif et de soins doit être une préoccupation collective. Parce que nous revendiquons la liberté de nos choix en matière de sexualité et d’identité de genre. Parce que notre corps nous appartient, nous exigeons d’être respectées et libres de nos choix. Parce que nous refusons la violence sexiste, homophobe et transphobe, nous restons debout ! Parce que nous voulons que la honte change de camp.

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Parce que lorsque nous venons d’ailleurs, nous vivons de multiples discriminations. Parce que le droit d’asile est un droit fondamental, nous demandons le droit de rester, lorsque nos vies sont en danger. Parce que l’école est le reflet de la société patriarcale, elle renforce les divisions et les hiérarchies fondées sur le sexe. Parce que nous voulons des cours d’éducation sexuelle qui parlent de notre corps, du plaisir et de la diversité sexuelle. Parce que les espaces relationnels doivent devenir des lieux d’échange et de respect réciproque. Parce que nous vivons dans une société qui véhicule des représentations stéréotypées de «la femme».

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Parce que nous, actrices culturelles, sommes trop souvent peu considérées et reconnues. Parce que les institutions ont été conçues sur un modèle patriarcal et de classe dans lequel nous n’apparaissons qu’en incise. Parce que nous sommes solidaires avec les femmes du monde entier. Parce que nous voulons vivre dans une société solidaire sans racisme, sans sexisme, sans homophobie et sans transphobie.

Pour toutes ces raisons et d’autres encore, nous ferons grève le 14 juin 2019 !


La «Grève des femmes*» a lieu le 14 juin 2019 dans toute la Suisse www.frauenstreik2019.ch.

Femme* : toute personne qui n’est pas un homme cisgenre (soit un homme qui se reconnaît dans le genre qui lui a été assigné à la naissance).

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