Société
Les femmes cellophanes #2 : Nellie Bly, journaliste d’investigation
Deuxième épisode de notre série consacrée aux femmes « oubliées » avec Nellie Bly. Une femme qui voyagea autour du monde, qui risqua sa vie pour des enquêtes, qui changea des vies et le journalisme pour toujours, dans un temps où les femmes ne devaient pas travailler, où elles n’avaient pas le droit de vote.
Nellie Bly, née Elizabeth Cochran en 1864, vient d’une grande famille d’origine irlandaise si importante que le nom de son village était le sien, Cochran.
Dès son enfance, Elizabeth est très indépendante et têtue. On la surnomme « Pink » car c’est l’une des seules filles de son école portant de la couleur, ce qui était très rare à l’époque. Après la mort de son père, sa mère se remarie rapidement avec un homme alcoolique et violent, puis décide de divorcer. Encore jeune adolescente, elle défend vivement sa mère au tribunal pour qu’elle obtienne raison.
À 15 ans, elle entre dans une école d’institutrices, un des seuls choix de carrière pour une femme à l’époque, mais se fait renvoyer après un semestre car elle ne peut payer les frais de scolarité.
6 ans plus tard, Elizabeth découvre un article du journal local, le Pittsburgh Dispatch, qui décrit à quoi sont bonnes les filles. En difficulté financière et incapable de suivre une formation et trouver un travail, la jeune femme est enragée. Elle répond donc anonymement à l’éditorialiste responsable de l’article, George Madden.
Le directeur du Dispatch, impressionné par sa plume, lance alors un appel pour la retrouver. Elizabeth se rend donc au journal et le directeur lui propose un travail. Nellie Bly, son pseudonyme inspiré par la chanson de Stephen Foster, est alors née.
Elle écrit plusieurs articles couvrant des problèmes sociaux locaux, donc très controversés. Nellie Bly apportait par exemple la lumière sur les mauvaises conditions des ouvriers, ce qui lui coûta sa place. Le journal, sous la pression des patrons des entreprises concernées, lui propose d’écrire pour la rubrique féminine. La journaliste démissionne donc, exaspérée par le sexisme et la lâcheté de son chef.
La jeune femme part alors au Mexique avec sa mère pendant 6 mois et ne peut s’empêcher d’écrire. À son retour, le Dispatch lui propose à nouveau un travail, cette fois pour la rubrique « jardinage ». Nellie décide donc de tenter le tout pour le tout. Elle part donc à New York et dépose sa candidature au New York World.
Le directeur, Joseph Pulitzer, lui commande un article sur les asiles psychiatriques. Nellie décide alors d’enquêter elle-même à l’intérieur d’un asile pendant 10 jours, en se faisant passer pour une malade. Elle s’entraine donc des heures puis passe devant des médecins qui l’envoient immédiatement au Blackswell Island Hospital, un asile psychiatrique pour femmes, à New York.
Elle y découvre les conditions effroyables dans lesquels les patientes sont insultées, battues et sous-alimentées. Nellie revient donc au New York World, ayant mis la pression sur l’hôpital pour pouvoir la faire sortir, ce qui n’était pas une partie de plaisir à l’époque. La série d’articles publiée est si horrifiante qu’un procès est lancé contre le Blackswell Island Hospital et déclenche de grandes reformes dans le pays concernant les asiles psychiatriques. Nellie Bly est depuis considérée comme la pionnière du journalisme d’investigation, militant et social.
Plus tard, le 14 novembre 1889, Nellie Bly quitte New York pour faire le tour du monde en 80 jours, inspiré par le roman de Jules Verne. Malgré les résistances et le scepticisme de son chef, elle part, mais revient après seulement 72 jours.
Entre ses projets fous, ambitieux et polémiques, Nellie Bly fit preuve d’un courage spectaculaire, et d’une force inhabituelle à une époque où les femmes étaient considérablement limitées dans leurs choix et perçues comme de simples ménagères dépendantes des hommes et de leurs maris. Pourtant, la femme est un modèle de journaliste, engagée, courageuse et capable de provoquer de réels changements sociaux.
Aujourd’hui en particulier, face à la masse d’infos qui nous inondent à des fakes news de plus en plus nombreuses et importantes, nous avons besoin d’inspiration de femmes et d’hommes aussi courageuses et courageux que Nellie Bly, n’hésitant pas à mettre leur vie en danger pour dévoiler des mystères et mettre la lumière sur des injustices sociales.
Société
Paléo : le lexique québécois pour «se payer la traite» au Village du Monde
Pour sa 17e édition, le Village du Monde du Paléo Festival mettra le cap sur le Québec et sa culture. Voici quelques locutions pour comprendre crissement mieux le français de la Belle Province.
«Si vous t’as la parlure québécoise, tu vas clairement t’achaler sur ces lignes-là». Comprenez : si vous parlez le français québécois, vous vous ennuierez certainement à la lecture de cet article.
Le Paléo Festival commence mardi, pour une 44e édition qui fera la part belle à la francophonie. Et pour cause, le traditionnel Village du Monde du festival, avec ses concerts, décors, et son artisanat typique, mettra le cap cette année sur le Québec et sa culture.
Depuis de nombreuses années déjà, les autres francophones du monde, qui prennent terre en sol québécois, pour une nuit ou pour la vie, tergiversent volontiers sur le sens du «dialecte» pratiqué par les Québécois, nos cousins «pure laine».
Alors, pour avoir une parlure impeccable auprès de votre voisin de comptoir, Slash vous propose un lexique québécois faisant appel à quelques locutions bien utiles sur la Plaine de l’Asse (ou pas).
Parlure empreinte d’hisoire
Selon Le Petit Livre du parler québécois de Claire Armange (éd. First, 2016), le vocabulaire de la Belle Province est riche de mots liés à son histoire. Le langage québécois, on s’en doute fort, doit la grande partie de ses origines à l’ancien français. Les Québécois défendent avec fierté la francophonie face à la prépondérance de la langue anglaise en Amérique du Nord.
Langue des premiers colons venus peupler la Nouvelle-France, il a subi, au fil des époques, des gouvernances et des influences des Premières Nations, un métissage avec les langues autochtones aussi bien qu’avec la langue des conquérants anglais.
Le français des Québécois, alors, se teinte de plusieurs anglicismes, de quelques termes autochtones et de beaucoup d’expressions issues d’une culture agréablement imagée et parfois complètement fantaisiste. On y retrouve, notamment :
– des régionalismes français : bavasser (bavarder, dire des médisances), astheure (maintenant), la broue (la mousse), prendre son respir (retenir son souffle), maganer (abîmer, maltraiter) ou encore souventes fois (souvent) ;
– des emprunts faits à la langue amérindienne : un achigan (un poisson), un atoca (une canneberge), la babiche (une lanière de cuir) ;
– des québécismes, des mots ou expressions propres au français du Québec : bûcher (abattre un arbre, couper du bois), il mouille (il pleut), la poudrerie (une fine neige tourbillonnante), une secousse (un certain temps), le solage d’une maison (les fondations) ou une tuque (un bonnet de laine).
Lexique
Achaler (v.) – ennuyer, importuner
Ce verbe provient probablement du verbe chaloir qui signifiait approximativement importuner de façon excessive dans un vieux dialecte normand.
Bardasser (v.) – action de chahuter, de bousculer quelqu’un ou quelque chose / action de faire du tapage
Verbe à l’origine incertaine. Emprunté soit du verbe poitevin «bordanser» (balancer, secouer), soit de l’onomatopée par laquelle on désigne le bruit que faisaient les soldats en emmenant leur «barda».
Bécosse (n.f.) – toilettes
Mot probablement né d’une déformation de la locution anglaise «back house», qui se traduit par «maison à l’arrière». Cette dénomination désignait autrefois les latrines extérieures.
Bourré, être (exp.) – avoir trop mangé
Expression francophone qui peut signifier également «soul» ou «riche».
Calice (inter.) – sacre manifestant la colère ou l’indignation
Le calice, du grec kulix, est un vase sacré de la liturgie chrétienne, présentant la forme d’une coupe évasée portée sur un pied élevé.
Char (n.m.) – voiture, bagnole
Ce mot, dérivé du latin carrus, a longtemps été perçu comme un anglicisme, à tort, au Québec, étant donné sa similarité avec le mot «car». Néanmoins, le Cambridge Dictionary le réfère comme un mot d’origines françaises et latines.
Catin (n.f.) – petite fille
Outre son sens français de prostituée, le terme «catin» au Québec, retrouve son sens de pureté. En effet, le mot «catin» vient du prénom Catherine, qui lui vient du mot grec katharos, qui signifie «la pureté». En France, on lui attribuait, autrefois, le sens de jeune fille de campagne, ce qui expliquerait le sens québécois.
Frencher (v.) – rouler une pelle
Ce verbe provient du verbe anglais «to french kiss» (embrasser).
Fou comme un balai, être (exp.) – personne qui a perdu la raison, dont le comportement semble insensé
Cette locution tire son origine du 19e siècle. La confection de ces outils ménagers se faisait à la main par des ouvrières, et le talent de ces dernières était un atout important. Lorsque le cordage n’était pas bien fait, la direction que prenait le balai était imprévisible. Le balai n’en faisait qu’à sa tête, tel un fou.
Gosse (n.f.) – synonyme familier de «testicule»
Ce mot est apparenté à «gousse», qui signifie une enveloppe des graines des légumineuses. Utilisé comme verbe, comme dans «tu me gosses», il s’apparente à «tu m’énerves».
Hambourgeois (n.m.) – hamburger
Mot québécois utilisé pour franciser le terme anglais «hamburger».
Itinérant.e (n.m.f.) – sans-abri
Les termes «itinérant» et «itinérante» font maintenant partie du vocabulaire de la sociologie au Québec. Dans le registre courant du français dit «de France» (en opposition au français québécois), l’on parle de «sans-abri», définissant ainsi ce groupe social en rapport à un bien matériel qu’il ne possèdent pas. Tandis que, de l’autre côté de l’Atlantique, cette catégorie de personnes est définie par son activité : le fait d’errer.
Joual (n.m.) – façon de parler dérivée du français de France
Le mot provient de «cheval», prononcé [jwal], comme en français du 17e siècle, utilisé en France jusque dans les années 1960. Aujourd’hui, il définit la façon de dénigrer le parler québécois («parler joual»).
Line-up (n.m.) – file d’attente, queue
Terminologie directement traduite de l’anglais. «Faire un line-up», c’est donc patienter dans la file d’attente.
Liqueur (n.f.) – boisson gazeuse
On ne s’étonnera donc pas qu’une mère propose à ses jeunes enfants d’aller «boire une liqueur», en attendant le concert de Robert Charlebois.
Se payer la traite (exp.) – se payer du bon temps
La traite était un moyen de définir une dette commerciale durant le Moyen-Âge. Il s’agissait d’un document qui fixait les modalités de remboursement (une sorte de crédit). Ainsi, l’expression trouve son origine dans ce premier sens : s’offrir quelque chose sans payer immédiatement, sous-entendu dépenser sans compter.
Pissou, être (exp.) – personne peureuse, lâche, qui recule devant le moindre obstacle
Cette expression, utilisée jadis en France, provient du latin pissiare qui veut dire «uriner». Pissou voudrait dire «enfant qui pisse au lit».
Robine (n.f.) – alcool fort et de mauvaise qualité
Mot calque de l’anglais «rubbing (alcohol)» (littéralement de l’alcool à friction).
Tabarnak / tabernacle (inter.) – juron exprimant le mécontentement, la colère
Déformation du mot français «tabernacle», qui, dans une église catholique, est une armoire contenant le ciboire et ses hosties. Dans la religion hébraïque, il s’agit d’une tente dressée, qui abritait l’arche d’alliance et les objets sacrés.
Tiguidou, c’est (exp.) – génial, super, trop bien
Ce terme est une pure création québécoise, à l’origine floue. La théorie la plus plausible est celle d’une variante de l’expression écossaise «tickety-boo», qui signifie «aller lentement, mais sûrement».
Tomber en amour (exp.) – tomber amoureux
Cette expression est la traduction littérale de la version anglophone «to fall in love».
Il n’y a pas de quoi se pitcher sur les murs (exp.) – se dit d’une chose qui n’a rien d’exceptionnel
«Ce concert des Twenty Øne Piløts était sympa, mais il n’y a pas de quoi se pitcher sur les murs».
Le 44e Paléo Festival se déroule du 23 au 28 juillet 2019, à Nyon. Infos, bourse au billets et programme complet sur www.paleo.ch.
Actu
Ceci pourrait être l’article d’une femme*
Aujourd’hui, partout en Suisse a lieu la «Grève des femmes*». Sensible à la cause, Slash Média se fait porte-voix du manifeste rédigé en décembre 2018 par les Collectifs romands pour la grève féministe et des femmes.
Un peu partout dans le monde, nous assistons à un renouveau des mouvements féministes : #metoo a contribué à diffuser et libérer la parole des femmes* et, grâce aux réseaux sociaux, a eu un écho planétaire.
En Suisse aussi, le sexisme, les inégalités et les violences à l’encontre des femmes* persistent, malgré un discours politiquement correct sur l’égalité et bien que l’égalité soit inscrite dans la Constitution fédérale depuis 1981.
«Les femmes bras croisés, le pays perd pied !»
Au pays de la prétendue paix du travail, les femmes ont déjà fait une grève qui a mobilisé 500’000 personnes ! C’était le 14 juin 1991, dix ans après l’entrée en vigueur de l’article constitutionnel sur l’égalité. Ce jour-là, les femmes ont croisé les bras : la grève a eu lieu non seulement sur les lieux de travail, mais aussi dans les foyers, où elles ont arrêté de faire le ménage, ont suspendu leurs balais aux fenêtres, n’ont pas cuisiné ni pris en charge les enfants.
La grève des femmes de 1991 avait surpris tout le monde. Un immense élan vers l’égalité avait secoué le pays : nous avons depuis lors obtenu des résultats concrets comme une Loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes, un congé maternité, le splitting et le bonus éducatif dans l’AVS, la solution dite des délais en matière d’avortement, des mesures de lutte contre les violences domestiques.
Aujourd’hui, nous avons besoin d’un nouvel élan ! Le 22 septembre 2018, 20’000 femmes* et hommes solidaires ont manifesté à Berne pour l’égalité et contre les discriminations. Le début d’une mobilisation que nous voulons poursuivre jusqu’à la grève féministe et des femmes* le 14 juin 2019 !
L’égalité stagne : les femmes* se mobilisent !
Nous sommes toutes exposées au sexisme, aux discriminations, aux stéréotypes et aux violences, sur le lieu de travail, à la maison ou dans la rue. Mais nous savons que des oppressions spécifiques basées sur l’appartenance de race, de classe ou sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre se combinent, si bien que certaines d’entre nous peuvent subir des discriminations multiples. Faire vivre la solidarité entre les femmes* du monde entier, c’est un des objectifs de notre grève.
Fortes de nos diversités, nous refusons toute instrumentalisation de nos luttes, notamment à des fins racistes. Nous revendiquons le droit de vivre libres dans une société qui garantit des droits égaux pour toutes*.
Durant ces vingt dernières années, nous avons assisté à la montée des politiques néolibérales: les services publics ont été remis en cause, les prestations ont été réduites, des secteurs comme la santé ont été soumis à la logique marchande, les conditions de travail et de retraite ont été péjorées. L’économie capitaliste veut maximiser les profits au détriment de l’être humain et de l’équilibre écologique. Les femmes* sont les premières à en souffrir en tant que travailleuses précaires, migrantes ou encore mères, souvent seules responsables du foyer et des enfants.
Comme le disent les Islandaises: «Ne changeons pas les femmes, changeons la société !». Car l’égalité ne peut se réaliser dans un monde où seul compte l’argent, mais nécessite de construire une société où ce qui compte est le respect et le bien-être de chaque être humain.
Le 14 juin 2019, nous nous mettrons en grève sur nos lieux de travail, dans nos foyers et nous occuperons l’espace public
Parce que nous en avons assez des inégalités salariales et des discriminations dans le monde du travail. Parce que nous voulons des rentes qui nous permettent de vivre dignement. Parce que nous voulons que le travail domestique, éducatif et de soins soit reconnu et partagé, de même que la charge mentale. Parce que nous nous épuisons à travailler, nous voulons réduire le temps de travail. Parce que le travail éducatif et de soins doit être une préoccupation collective. Parce que nous revendiquons la liberté de nos choix en matière de sexualité et d’identité de genre. Parce que notre corps nous appartient, nous exigeons d’être respectées et libres de nos choix. Parce que nous refusons la violence sexiste, homophobe et transphobe, nous restons debout ! Parce que nous voulons que la honte change de camp.
Parce que lorsque nous venons d’ailleurs, nous vivons de multiples discriminations. Parce que le droit d’asile est un droit fondamental, nous demandons le droit de rester, lorsque nos vies sont en danger. Parce que l’école est le reflet de la société patriarcale, elle renforce les divisions et les hiérarchies fondées sur le sexe. Parce que nous voulons des cours d’éducation sexuelle qui parlent de notre corps, du plaisir et de la diversité sexuelle. Parce que les espaces relationnels doivent devenir des lieux d’échange et de respect réciproque. Parce que nous vivons dans une société qui véhicule des représentations stéréotypées de «la femme».
Parce que nous, actrices culturelles, sommes trop souvent peu considérées et reconnues. Parce que les institutions ont été conçues sur un modèle patriarcal et de classe dans lequel nous n’apparaissons qu’en incise. Parce que nous sommes solidaires avec les femmes du monde entier. Parce que nous voulons vivre dans une société solidaire sans racisme, sans sexisme, sans homophobie et sans transphobie.
Pour toutes ces raisons et d’autres encore, nous ferons grève le 14 juin 2019 !
La «Grève des femmes*» a lieu le 14 juin 2019 dans toute la Suisse – www.frauenstreik2019.ch.
Femme* : toute personne qui n’est pas un homme cisgenre (soit un homme qui se reconnaît dans le genre qui lui a été assigné à la naissance).