Concerts
Odeta.TV : quand la musique fait son cinéma
Samedi soir, dans le cadre du 8e Label Suisse Festival, Pierre Audétat, La Gale et Nya sont venus ravir le public du Romandie de Lausanne de leurs prouesses techniques singulières : mélange absurde de sons et d’images.
À peine le concert du rockeur tessinois Andrea Bignasca terminé, Pierre Audétat se faufile déjà à contre-courant du mouvement de foule. Arrivé sur la scène du club lausannois, l’instrumentiste, distingué par un Prix suisse de musique en mai dernier, installe ses claviers. D’une timidité amusante, il interpelle un spectateur ayant réservé sa place au premier rang : « Ça va ? Ce sera peut-être un peu fort… ». L’auditeur fait mine d’être informé et habitué à la configuration. Le claviériste lui adresse un sourire tendre et reprend son montage.
Au loin, à l’avant d’un bar étroit, le public effectue un captivant ballet au rythme de la tireuse à bières et des claquements sourds des portes de toilettes. Entre un « pardon » et deux « excusez-moi », le Romandie piétine quelque peu en attendant le concert de celui qui se fait appeler « Odeta.TV ».
Voir la musique
21 heures. La lumière de la salle se tamise davantage. Dans l’assemblée, des amis, de la famille, mais aussi de parfaits inconnus. À l’écran, un Charles Aznavour bégayant, un facteur de piano appliqué et une paire de piles. Que se passe-t-il quand ces trois courts extraits se rencontrent ? En apparence, pas grand-chose. Pourtant, lorsque Pierre Audétat sample le tout et vient y ajouter une rythmique jazz ou encore hip-hop, le résultat est captivant.
Le terrain de jeu du papa de la « Cloche Diatonique » n’est autre que YouTube et sa pléthore de vidéos en tous genres – notamment responsable de nos meilleures séances de procrastination. D’abord privilégiées pour le live, il arrive, « lorsqu’elles sont intéressantes », que les compositions d’Audétat se retrouvent sur la plateforme de partage vidéo ; un quasi-retour aux sources.
« Merci Billag ! »
Après une trentaine de minutes, le laboratoire scénique du Lausannois de 50 ans se transforme en un véritable block party. Accompagnés par les flows puissants des rappeurs suisses La Gale et Nya, les arrangements jazz du musicien prennent soudainement une tout autre teinte. Tantôt ineptes, tantôt engagées, les compositions font désormais trembler l’arche dans laquelle se niche le club.
Le public, jusqu’ici dans un silence religieux, se vivifie et finit par danser, non sans une certaine nonchalance, sur les beats magiques de l’ancien professeur de musique assistée par ordinateur. La lumière, précise, dessine la silhouette longiligne de l’homme au piano, tandis qu’un spectateur lance subitement un « merci Billag ! », en référence au financement du Service public audiovisuel helvétique, principal partenaire du festival.
Les notes foisonnent, les projections aussi. André Rieu, Jean-Pierre Foucault, un bambin à la batterie, un autre, une casserole remplie d’huile ; les vidéos défilent et les sons s’y associent. La musique est là, bien présente, parfaitement audible, mais complètement improbable. Une dose de belles surprises. Et des images plein la tête, à l’évidence.
Label Suisse : succès populaire
Après une édition 2016 pluvieuse, les organisateurs de la biennale se félicitent d’une fréquentation de près de 90’000 personnes sur les 3 jours de festivités. Toujours selon eux, le festival, qui a pour but de valoriser la scène musicale suisse, est heureux « d’avoir accueilli un grand nombre de professionnels venus de toute la Suisse, mais également de la France et même du Québec ».
La manifestation s’est déroulée dans dix lieux et a proposé plus de soixante prestations en entrée libre. « Des festivaliers de tous âges et de tous horizons ont convergé en masse pour les concerts de Moonraisers, Pegasus ou SuperWak Clique », indique le communiqué de presse du festival. Marius Baer, la pop du Roi Angus, The Two et One Sentence ont, eux aussi, enrichi cette programmation.
Pour sa 8e édition, l’événement a également proposé de la Neue Volksmusik. « Nouveauté stylistique, à la croisée de la musique traditionnelle, contemporaine et jazz », explique enfin le comité organisateur.
La prochaine édition du Label Suisse se déroulera du 18 au 20 septembre 2020.
Concerts
Au Paléo, Docteur Chedid et Mister M
Mercredi soir, le multi-instrumentiste, véritable showman, a fait de la Grande Scène de Paléo son royaume.
Au Paléo, mercredi soir, on y a vu un vrai concert de M. Avec du grand Matthieu Chedid dedans. «Un véritable spectacle son et lumière», comme diraient les producteurs influents de la décennie passée.
Tout seul dans l’arène
Quelques notes acides à la guitare et une entrée en scène faite de «ah», de «ouh» et de «mh» qui lui sont propres. M est là, vit, le manteau blanc, les santiags or et l’allure survoltée.
Derrière lui, Chedid. Poète. Comme son père, Louis. Comme sa grand-mère, Andrée. Comme lui-même, Matthieu, découvert, timidement égocentrique, dans les notes du Baptême.
L’un a quarante-sept printemps, l’autre vingt-deux. L’un regarde les autres, l’autre se regarde lui. Une seule chose les rassemble : tous deux ont ce besoin irrépréhensible de partager la musique. Celle d’hier et d’aujourd’hui. Peut-être même de demain.
Devant le parterre de la plaine de l’Asse, il dit «aime», M. Il s’aime, M. Si bien qu’il en supprime ses musiciens ; remplacés par des automates. Un pour chaque instrument. Une batterie loquace, une autre plus austère, la folie d’un vieux piano et la fiabilité pérenne de moult autres androïdes.
Coiffé-décoiffé
Mais dans le monde de Matthieu, le son n’est pas seul. Non, ici et là, l’image, la mise-en-scène et les artifices y ont une place de choix. Au milieu de six changements de costumes et de onze guitares, M se réapproprie «son» Paléo au travers de lumières hypnotiques, de ses coiffes impeccables et d’un culte du moi altruiste.
Avec un final composé de Machistador et de Bal de Bamako, Docteur Chedid et Mister M s’effacent presque, laissant la place aux techniciens de la Grande Scène. Ainsi, pendant près de vingt-cinq minutes, la «Golden Team» s’épuise dans une battle de danse.
Dans la lumière écarlate du plateau, Matthieu disparaît, on ne sait trop comment. Quelques instants avant M, qui lui, mimant une fusée, s’enfonce dans les coulisses du festival nyonnais. Messieurs, merci.
Le 44e Paléo Festival se déroule du 23 au 28 juillet 2019, à Nyon. Infos, bourse au billets et programme complet sur www.paleo.ch.
Concerts
Joan Baez, les adieux montreusiens
Hier soir, l’Américaine a envoûté le fervent public du Stravinsky de Montreux avec un concert d’une touchante simplicité et d’une rare honnêteté.
Salle noire, courte musique d’introduction et déjà la reine de la folk apparaît dans le faisceau des projecteurs. Saluée par l’ovation d’une foule conquise, la chanteuse entame très vite Don’t Think Twice, chanson de son vieil amour Bob Dylan, avant d’enchaîner avec Last Leaf de Tom Waits.
Joan Baez, sa voix n’est plus exactement la même ; son chant est désormais habité d’un grain sublime et dégage une fragilité émouvante. Ses doigts, eux, courent sur les cordes de sa guitare, avec une étonnante facilité. On comprend mieux pourquoi Dylan jalousait tant son picking si fin, si précis.
Entre les morceaux, la New-Yorkaise s’exprime le plus souvent en français. Se moquant de son âge, ainsi que celui de son public, elle se remémore son concert à Woodstock et les chansons qu’elle chantait avec sa sœur Mimi.
Entourée de trois musiciens, dont son fils Gabriel Harris aux percussions, Joan interprète un répertoire varié, tant dans l’époque que dans le genre. De Farewell Angelina (Bob Dylan) à Another World (Antony and the Johnsons), en passant par d’opérants chants faisant écho à l’abolition de l’esclavage, la septuagénaire continue sans cesse de délivrer un message de paix et d’humanisme.
Évoquant, avec The President Sang Amazing Grace, la tuerie de Charleston aux États-Unis, dans laquelle un suprémaciste blanc avait abattu plusieurs paroissiens noirs dans une église de la ville, mais aussi la cause des femmes avec Silver Blade, la chanteuse semble plus engagée que jamais.
Que ce soit pour la cause des noirs aux côtés de Martin Luther King ou contre la guerre d’Indochine à Hanoi, Joan Baez s’est toujours battue pour la tolérance et la paix. Et si sa voix ne chantera bientôt plus, il y a fort à parier qu’elle continuera à porter son engagement à travers le monde.
Le concert touchant à sa fin, Joan Baez entonne The Boxer de Paul Simon, puis reprend l’hymne Imagine de John Lennon. L’audience, ravie, chante à pleine voix. Après plusieurs rappels, Joan revient seule sur scène pour Fare Thee Weel, titre de son premier album sorti en 1960 (Joan Baez).
Adieu mes amis chante-t-elle enfin en français, rendant, ainsi, un hommage certain à sa contemporaine Nana Mouskouri. Ce sera la dernière chanson de la reine, son ultime concert au Montreux Jazz ; une page se tourne. Un immense merci, Joan Baez.
Le 53e Montreux Jazz se déroule du 28 juin au 13 juillet 2019 – www.montreuxjazzfestival.com.