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Une discussion avec le responsable technique de la Haute École de Musique de Lausanne
Avec son accent chantant qui rappelle ses origines italiennes, Alessandro Ratoci m’a emmenée dans son monde, où la musique électronique et « traditionnelle » se côtoient, reflet d’une société où le digital grandit.
Elevé dans une famille sans intérêt particulier pour la musique, c’est en premier lieu par son grand-père qu’Alessandro Ratoci découvre le monde musical : « Mon grand-père chantait et improvisait des rimes dans le style de poésie populaire toscane dite “ottava rima“ ». En grandissant, il s’intéresse aux ordinateurs, avec qui il noue une relation précoce, qu’il qualifie comme « composée d’amour, de haine, de peur et de fascination ». Malgré une approche spontanée – au mieux anarchique et au pire chaotique – le jeune garçon apprend seul à codifier, loisir qui le passionne bien plus que les jeux vidéos : « C’était une activité très créative, qui me permettait de communiquer avec les machines comme si elles étaient des êtres dotés d’une vie autonome ». Sa réelle rencontre avec la musique a lieu autour de ses 11 ans, lorsqu’il entre au collège, dont l’horaire prévoit une heure hebdomadaire d’éducation musicale. Alessandro s’en rappelle très bien : « Ce fut pour moi un véritable coup de foudre amoureux car j’avais l’impression d’avoir retrouvé tout ce que je cherchais dans l’informatique, mais en totale osmose avec des dimensions émotionnelle et imaginative ». Dès lors, l’informatique et la musique se sont développés en parallèle, de manière complémentaire, créant un « musicien avec un fort intérêt pour l’informatique, mais attention, pas le contraire », précise-t-il.
Suisse d’adoption, Alessandro est, depuis son arrivée il y a 10 ans, professeur de musique et responsable technique à la Haute École de Musique de Lausanne (HEMU), qu’il considère comme sa maison d’adoption : « J’y ai trouvé un environnement très nourrissant et toute la liberté (et les moyens !) pour développer mes différents projets, tant artistiques que pédagogiques ». Ne voulant pas pour autant délaisser la vie d’étudiant, le professeur redevient élève en réalisant un doctorat de composition à Paris, en collaboration entre la Sorbonne et l’IRCAM, qui vise à explorer les possibilités informatiques pour la composition musicale et l’exploration du concept d’hybridation des styles.
Malgré son statut de compositeur de talent, il peine à expliquer clairement d’où lui vient son inspiration : « L’art est pour moi quelque chose d’intimement connecté à la vie. Je puise beaucoup plus mes idées dans l’architecture des périphéries industrielles – en tant que fan de la dérive psycho-géographique et du psychédélisme – dans la nature ou encore dans l’amour physique et spirituel des relations humaines que seul dans mon studio ». Malgré l’utilisation de programmes informatiques, Alessandro ne délaisse pas les sons recueillis dans son environnement : « La musique électronique est toujours en relation avec la dimension acoustique du son lui même. La pièce entendue au Centre Hospitalier Universitaire Vaudois [lors d’un vernissage, ndlr.] est basée entièrement sur des sons de phénomènes naturels et d’instruments musicaux du passé. L’électronique est donc un moyen de transformation et de restructuration plus qu’une substitution. Je ne crois pas qu’un compositeur doté d’un minimum de sensibilité puisse renoncer à la richesse et à la pluralité des sons qui nous entourent ».
Totalement ancrée dans la société moderne, l’électronique est petit à petit devenue une sorte de tradition. Le compositeur explique : « Il y a un plus grand intervalle entre les premières expériences de Pierre Schaeffer qu’entre Chopin et la naissance du jazz. Il y a donc une vraie tradition des musiques électroniques, parts entières d’une tradition plus ample qu’est la musique occidentale globale ». Pourtant, malgré une facilitation d’un point de vue technique (notation de partitions par exemple), l’apparition et la prise d’importance de ces nouvelles technologies compliquent la composition, en offrant des possibilités presque illimitées, qui peuvent désorienter : « Le but n’est donc pas de maîtriser une quantité énorme d’outils, mais d’être capable de les considérer comme des moyens de retranscrire notre pensée musicale », explique très sérieusement Alessandro Ratoci, qui voit un futur prometteur à la musique électronique. Il développe : « Il s’agit d’une musique qui a un passé et qui a donc une visibilité mondiale […] L’éventualité d’un retour à une dimension primitive où l’homme doit construire ses instruments de musique avec du bois et des os nourrit énormément mon imagination, mais je pense que c’est très peu probable dans un futur immédiat ».
Musique électronique ou musique faite avec de réels instruments, la question fait débat depuis longtemps. Pour Alessandro Ratoci, il s’agit plus de la question de la longévité d’une identité sonore. Un synthétiseur est considéré comme vintage, car il nous est difficile d’en détacher certains timbres, qui ont une connotation historique bien précise, alors qu’un violon ou un piano ne sont pas considérés comme vintage, bien que leur origine remonte à plusieurs siècles. Cette longévité serait due à la richesse d’un son physique, que l’électronique ne peut pas parfaitement recopier : « Dès qu’on cherche à modéliser un phénomène physique, on doit tout suite faire face au problème de la nature chaotique des phénomènes naturels. Pour un violoniste par exemple, un vibrato est le produit d’une action corporelle, issue de son état émotionnel et biologique, de sa peau et de sa respiration. Il s’agit donc de “son” vibrato, non pas d’une caractéristique purement codifiée dans l’instrument. Cette richesse ne peut être pas oubliée ». Selon le compositeur, l’introduction de pratiques basées sur la technologie numérique – échantillonnage, analyse, synthèse – offrent une connaissance plus fluide et plus approfondie du phénomène acoustique : « L’électronique n’a pas remplacé les moyens plus “traditionnels”, mais elle nous a au contraire enseigné à écouter et comprendre les phénomènes acoustiques de façon beaucoup plus élargie ». Les musiques traditionnelle et électronique vivent donc, pour le moment encore, en parfaite harmonie.
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João Gilberto, bossa supernova
Le chanteur brésilien João Gilberto, précurseur de la bossa-nova, est mort samedi à 88 ans.
Samba, plus jamais. João Gilberto n’est plus. Le papa réfractaire de la bossa-nova est mort samedi à 88 ans a annoncé son fils, João Marcelo, sur Facebook.
Souvenirs d’ici
Un vieux microphone à condensateur, la gratte légère et le flegme de la cidade maravilhosa (la ville merveilleuse). Il n’en fallait pas plus, à l’époque, pour faire frémir le Montreux Jazz Festival, un soir de juillet 1985.
Pourtant, 34 ans plus tard, en ce soir de juillet 2019, le micro restera sourd, la gratte veule et Rio pleurera. Pleurera «o mito» (le mythe), parti sans doute rejoindre Loalwa Braz, Vinícius de Moraes ou encore Nelson Ned.
Samba de maître
Il fascine, João Gilberto. D’un revers de guitare, il ouvre la voie au génie de Caetano Veloso, Gilberto Gil et Tom Zé. Même que, selon les légendes du petit monde des grands musiciens, il influença le jazz d’un certains Miles Davis. Fastoche.
Ces dernières années, plombé par des dettes, dépossédé de ses droits, miné par des procès à rallonge, l’homme s’est «volatilisé» des radars médiatiques.
Le 6 juillet 2015, seule une vidéo sur YouTube le montrant, affaibli, fredonner avec sa fille, Luiza, le fit «ressurgir». Où était-il ? Que faisait-il ? Il sera dès lors le sujet de bien des rumeurs et fantasmes. Sa famille assure qu’il va bien et continue de «gratter». Il en sera une des dernières apparitions du musicos.
«La bossa nova je ne sais pas ce que c’est»
«La bossa nova je ne sais pas ce que c’est. Moi je joue de la samba», a-t-il assuré en 1961, au moment de publier son troisième 33 tours. En face A, on y trouve, pour exemple, une version de Samba da Minha Terra, le classique de l’un de ses maîtres chanteurs, Dorival Caymmi.
«Il peut bien sonner même en lisant un journal», dit un jour de Gilberto le draconien Miles Davis. C’est certainement là, encore plus que tout le reste, que résidait le miracle du Bahianais.
Jamais pris en flagrant délit de mauvais goût, toujours prompt à apposer quelques vers sur quelques notes. Le chanteur aura clairement redonné ses lettres de noblesse au mot «interprète». Lorsqu’il n’est pas l’auteur d’un céleste canção.
Sélection musicale de Malick Touré-Reinhard.
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“Les 6 Chemins” du SexoapCrew, un premier EP en dehors des sentiers battus
Le collectif rap bullois SexoapCrew a dévoilé samedi Les 6 Chemins, un premier EP aux styles multiples, mais volontiers plaisants. Interview. Chose promise, chose due, c’est le 25 mai dernier que le SexoapCrew a dévoilé son premier EP intitulé Les 6 Chemins. De passage dans nos colonnes en décembre 2018, l’équipe originaire de Bulle est composée de six identités : Tacchini, Sunem, Dom, Simcheck, AR et SGK. SexoapCrew est un shakeur dans lequel les saveurs ne peuvent être parfaitement reconnues tellement elles sont nombreuses. Une chose est sûre, cependant : le cocktail est frais mais aussi à portée de toutes et tous. En janvier 2019, le SexoapCrew ouvrait les hostilités avec le clip de «Guérilla». Quatre mois plus tard, il nous revient avec «Sancho» et annonce enfin la sortie d’un premier EP pour le 24 mai. Suite à un souci technique, l’oeuvre arrive le lendemain sur les plateformes. Et c’est dans un bar de Fribourg que le SexoapCrew nous parle de cette première «naissance» par voie digitale.
Slash : Quoi de neuf depuis décembre ? Tacchini : Lors du concert à Fri-son, on t’avait parlé d’un premier projet qui devait sortir en début d’année, ça a pris un peu plus de temps que prévu par rapport au mixage et notre implication dans ce projet. Sinon, on s’est calmés sur les concerts, afin de privilégier le travail en studio et trouver notre ADN. Vous sortez votre premier EP Les 6 Chemins. Comment a-t-il été conçu ? AR : Il a été conçu assez naturellement. On s’est isolés dans le chalet – ou plutôt dans l’appartement – de Dom, à La Tzoumaz [en Valais, ndlr.] . On y est allés trois week-ends, on a pris tout notre matériel pour enregistrer, on a écrit nos textes et voilà comment onze titres ont vu le jour, pour en garder huit. Pourquoi Les 6 Chemins ? SGK : On est six personnes, on a chacun notre vie, nos expériences et on s’est croisés à différents moments. Depuis, nos six chemins ne font plus qu’un, c’est-à-dire celui du SexoapCrew, tout en gardant notre parcours de vie personnel, qui fait l’identité de chaque membre. Simcheck : Ces six chemins vont au final dans le même sens. On a différents avis, par exemple dans le rap et la musique. Cependant, la direction dans laquelle on se dirige reste commune. Dom : Même au niveau textuel, c’est très diversifié et c’est lié à ce que SGK a dit.
Comment vous fonctionnez pour la création de vos chansons ? Vous avez un mode d’emploi ? Tacchini : On n’a pas de mode d’emploi, on ne s’est pas fixés de thème pour les morceaux… Une fois le son enregistré, le sujet était présent. C’est la force des six chemins. Sunem : À chaque morceau, AR a mis sa touche. Peu importe l’instru’, il a fait quasi tous les refrains de l’EP. Cela nous a mis dans un même esprit, car les refrains tournaient en boucle pendant qu’on écrivait. En fait, on s’est basés là-dessus. SGK : On met l’instru’, chacun «gratte» son texte – de son côté ou sur son chemin. À la fin, on met nos écrits en commun et on regarde comment créer les meilleurs «combos» – qui va commencer, suivre, conclure. Dom : Le fait d’imposer un thème, je ne pense pas que ça soit quelque chose qui marche. Il faut être assez libre sur ce qu’on écrit. Les refrains que AR a posés, ont permis de créer un univers et le son crée le thème. Un mot ou une phrase qui illustre l’ensemble de votre EP ? SGK et Simcheck : C’est le «Sancho». Avant de faire du rap, nous étions déjà des potes. On est tout le temps ensemble, on fait tout ensemble, c’est comme la famille. On s’appelle le «Sancho», parce qu’on est comme une veine dans laquelle coule un seul et même sang, sans oublier qu’on est chauds aussi.Dès la première piste, «Expo», vous dites «tout ce qu’on vise c’est les trophées, faire du cash…» De quel(s) trophée(s) parlez-vous ? C’est possible avec un premier projet ? Simcheck : Pour nous, rien que de rapper ensemble et de pouvoir promouvoir ça dans notre ville, que les gens reconnaissent notre travail, c’est déjà un trophée. Peu importe le cash que ça apporte derrière. Nos trophées sont le résultats du travail mis à l’ouvrage (sic.). C’est récolter ce que l’on a semé. AR : Trophée ne veut pas dire «avoir un Disque d’Or». Se produire sur scène devant ma famille, mes potes, mon entourage, ou devant des gens qui paient une entrée pour venir nous voir, recevoir un cachet, c’est un trophée. Tout le monde a besoin de «cash» et si on peut en gagner en faisant ce qu’on aime, c’est parfait. SGK : Le trophée est dans le sens d’accomplir quelque chose. Ce sont des victoires, en regardant de quoi l’on est parti. Ce qu’on fait est devenu plus «carré», il y a du travail dans notre art. On parle souvent de cash parce que la vie est ainsi faite, mais on est aussi très «Sancho». On oublie pas que la famille est plus importante que l’argent. Sunem : La suite du texte dit «faire du cash pour ensuite coffrer», cela signifie que que l’on a cette envie de mettre bien les nôtres (sic.). Prendre soin de la famille et tout ce qui va avec. Dom : Tu dois aller chercher ton argent, être là, présent, déterminé et faire les choses.
Cinquième titre, «Guérilla» : qu’est-ce que signifie «on sourit pour serrer les dents» ? Avez-vous tendance à avoir la bouche trop ouverte ? SGK : C’est pas une question d’avoir la grande gueule. C’est juste que la vie peut être dure par moment, mais on a la chance d’être en Suisse, par exemple. On sourit même si tu peux avoir des douleurs. Tacchini : C’est vrai qu’on a des énormes gueules au quotidien. En même temps, c’est un défaut mais aussi une immense qualité, parce qu’on se dit les choses. On n’a pas peur de dire si l’un de nous a écrit un couplet de merde. On se le dit gentiment quand même. On sait aussi comment apaiser les tensions entre nous. Des fois, ça explose mais on revient toujours à l’état de potes. Dom : On n’oublie pas que nous sommes des potes à la base. Même si on s’engueule, on sait qu’il y a pas de problèmes à la base. Quand est-ce qu’on vous revoit sur scène ? Tacchini : Nous serons en concert le 15 juin à Ebullition [centre culturel situé à Bulle, ndlr.] avec Slimka, Di-Meh, Daejmy, Shaim & Santo. Pour les autres dates, ce sera à suivre sur nos réseaux sociaux.
«Les 6 Chemins» est à retrouver sur toutes les plateformes de téléchargement légal – www.mx3.ch/sexoapcrew.