Scène
Nathanael Rochat : « L’avenir est aux artistes qui s’entêtent »
Troisième journée au Montreux Comedy Festival. Je m’installe, avec Nathanael Rochat, sur la terrasse du 2m2c. L’humoriste s’assied, croise les jambes, plante ses yeux bleus perçants dans les miens et commence à me parler de lui et de sa carrière, avec, évidemment, sa touche d’humour et son flegme emblématique.
Slash : Être humoriste, cette vocation, d’où vous est-elle venue ? Pourquoi faire rire les gens ?
Nathanael Rochat : C’est parce que j’ai essayé tout le reste… C’est le seul métier où il n’y a pas besoin de CFC, donc tu ne peux pas ne pas l’avoir. On ne peut pas te dire non. [sourire] Comme il n’y a pas d’école, on ne peut pas rater. J’ai raté pas mal de trucs, mais ça, on ne peut pas puisqu’il n’y a pas d’épreuve. Il suffit de s’entêter. Et c’est pour moi le plus important. On est très seul. Je veux dire, hier, j’avais des copains qui étaient avec moi en loge VIP, grâce à moi, et il y a quinze ans, ils se foutaient de ma gueule.
Quelles sont vos sources d’inspiration ? Et le mode de construction de vos sketchs ?
Je m’intéresse qu’à moi-même, à peu près. Parce que pour les sources d’inspiration, il n’y a que l’expérience personnelle, je pense. Il y a des sujets où l’on se dit que ça vaut la peine d’explorer. Au début, c’était beaucoup ça. J’écrivais trois pages et après on se dit qu’il y en a trois et demie de merde, mais qu’il y a peut-être une bonne phrase à garder. Mais, j’essaye vraiment d’exploiter le sujet. Il y a des fois le hasard, un coup de bol ; comme celui qui a découvert le LSD, ce n’est pas ce qu’il cherchait.
Vous avez collaboré avec Thomas Wiesel, hier, pour le Gala « Génération Stand Up », mais aussi pour divers spectacles. Comment ça se passe ? Vous êtes des collègues devenus « potes », des « potes » devenus collègues ? Vous n’êtes pas potes ?
Ah, pas quatre questions et l’on parle déjà de Wiesel… [rires] Ça fait quatre ans que je lui fais croire qu’on est pote. Au début, il m’a énervé assez vite, parce qu’il fait premier de classe. Après, il y a eu un concours d’humour : c’était le meilleur, mais encore celui qui m’énervait le plus. Je me devais d’être honnête et je l’ai déclaré vainqueur, par souci d’honnêteté. Et après, je m’y suis un peu intéressé. J’avais l’impression que c’était quelqu’un qui travaillait. Il y a eu un moment, dû a des circonstances de ma vie, qui faisait que je trainais un peu avec et après je me suis dit qu’il avait 25 ans et je me suis remis à ma place. C’est vraiment un aspect que j’ai mis de côté après. Maintenant, j’ai une vie de famille, j’essaie de me comporter en adulte. Donc c’est pas mal de la collaboration professionnelle, d’avoir un écho sur ce qu’on fait. Je peux le considérer comme un collègue. Il a fait ma compta aussi, pas mal. [rires]
Vous êtes venus plusieurs fois au Montreux Comedy, qui est quand même une consécration pour les humoristes romands. Qu’est-ce que ça représente pour vous ?
C’est ce qu’il y a de plus glamour, effectivement, dans la région. Je pense que c’est une forme de consécration, mais ça va encore, on s’en remet. Une reconnaissance et l’occasion d’avoir des petites choses qui font plaisir, on n’est pas des rocks stars, mais se faire payer l’hôtel une nuit ou deux, avoir un décor sympa… Pour l’égo, c’est un peu agréable, on a l’impression de vivre un bout de notre rêve. Et c’est aussi quelque chose que je voyais à la télé, et je me disais : « Ça, je peux faire. Je peux y aller, si c’est ça ». Et, un peu chasser les autres, aussi. Parce qu’on voit beaucoup les mêmes… Puis, il y a des nouveaux qui arrivent : c’est un roulement. Être celui qui pousse un peu les autres. J’étais surpris qu’on m’invite cette année pour deux galas, parce que je pensais qu’on m’avait déjà un peu mis dehors. C’est là que revient l’entêtement. L’apparition de gens comme Alex, Thomas ou Marina [Alexandre Kominek, Thomas Wiesel et Marina Rollman, ndlr.] dans la région, ça a été salutaire pour moi, parce que je ronronnais. C’est bien de se faire un peu bousculer.
Vous faites également de la radio. Est-ce que c’est difficile de toujours changer entre le stand-up et la radio ? Est-ce que c’est la même manière de travailler ?
Déjà, ça met en lumière notre polyvalence, notre capacité d’adaptation. Je pense que c’est une manière différente, on ne peut pas vendre la marchandise de la même manière, clairement. En radio, on ne peut pas attendre un rire et l’on n’a pas forcément de public. L’amusement n’est pas forcément validé par le public. C’est totalement différent. Il y a eu une époque où j’ai essayé de faire la même chose, mais ce n’était pas très efficace. C’est de l’antenne, il faut remplir. Les temps morts, ce n’est pas bien, parce que sur scène, les gens se disent qu’on fait exprès, alors qu’à la radio, les gens se disent qu’il y a un problème technique.
Vous préférez l’un de ces deux univers ?
À la radio, on peut lire. Donc, je sais que je ne vais pas oublier ce que je vais dire. C’est ça ma préférence. On n’a pas besoin d’apprendre, donc on peut amener de nouvelles choses. Tandis qu’hier au Gala, il y a eu un ou deux nouveaux trucs que je voulais dire, eh bien, j’ai fini par me foirer, parce que je me rappelle plus de comment les amener. Je fais toujours faux une fois, mais après je ne le fais plus.
On vous prête souvent un côté nonchalant, flegmatique. Vous n’avez pas parfois peur de lasser votre public ou de ne plus le captiver ?
Oui, c’est un danger. Il faut doser. Il y a des avantages et des inconvénients. Pour moi, l’avantage c’est que si l’on arrive trop pêchu, c’est un peu : « Je vais vous faire marrer », alors que si c’est nul dès le début, ils peuvent être surpris que dans le bon sens. Maintenant, il ne faut pas les endormir non plus. Mais maintenant, il y a bien pire que moi, j’ai vraiment de la marge. [rires] Si ce n’est pas artificiel, c’est bon. Il faut varier, ça dépend après qui l’on passe, aussi. Je pense que je suis moins flegmatique qu’avant. Même si des fois, j’ai l’impression d’être pêchu alors qu’en réalité pas. D’ailleurs, par moment, pendant ma dernière chronique radio, celle sur Solar Impulse, j’étais au deux tiers et je me suis dit : « Mais qu’est-ce qui t’arrive ? » Je m’étais tellement immergé dans mon truc que mon énervement était authentique. Mais, c’est venu comme ça. Le plus beau compliment qu’on m’ait fait cette année, c’est un gars qui m’a dit : « Tout ce que vous avez dit, j’y crois ». Heureusement, tout n’est pas vrai. Qu’on soit mou ou dynamique, l’important c’est l’authenticité.
Beaucoup de pays se dirigent vers la Droite, voire l’Extrême Droite. On l’a vu récemment avec Donald Trump, entre autres. Pensez-vous que pour la culture, ou plus particulièrement l’humour, il va y avoir un changement de propos ou une forme de censure qui va s’installer ?
De toute façon, je ne compte pas trop m’éloigner de Lausanne, donc Donald Trump… Non, non, je pense que dans les valeurs, par exemple celles de Trump, il y a un équilibre qui s’opère. S’il va chatouiller là, ils vont être encore plus féroces, ce n’est pas dans son intérêt. En Suisse, comme j’ai dit une fois à la télé, et je m’étais fait engueuler : « À partir du moment que tu as un président raciste, comme humoriste tu as une marge de manœuvre ». Je ne me fais pas une idée fixe de la politique. La seule réserve que j’émets, c’est que des fois c’est difficile d’être militant et drôle. Bien sûr, des fois j’ai envie de me démonter des Libéraux – radicaux ou de l’Extrême Droite –, mais le problème c’est que c’est une envie. On va forcer, on va être inefficace et sûrement mauvais. L’Extrême Droite, c’est un sujet qui ne me fait pas rire. Le populisme et toutes ces choses-là, ça m’attriste plutôt. C’est les épaules qui tombent, ça ne me donne pas vraiment envie de rigoler. Qu’il y ait encore des gens qui arrivent à penser que des gens s’embarquent à 300 pour traverser la mer, qu’il y en a la moitié qui se noient et qu’ils pensent que c’est parce qu’ils connaissent bien le système social suisse et qu’ils veulent en profiter pour venir vendre de la drogue, il y a une bêtise qui m’attriste. Yann Marguet (chroniqueur sur Couleur 3, ndlr.) en a très bien parlé dans une rubrique. Donc, pour revenir à la censure, on mettra tout au conditionnel et c’est bon. [rires] Trump au pouvoir, utilisez plus de conditionnel ! J’aurais pu répondre plus rapidement… [sourire]
Comment voyez-vous l’avenir de l’humour, en Suisse ? Et le vôtre ?
Il y en a beaucoup qui veulent se barrer et ça je trouve bien. Parce que tous les bons se cassent à Paris, donc moi ça me fait de la place… C’est un tout petit peu plus industriel qu’auparavant. Avant, c’était vraiment de l’amateurisme. Je pense qu’il y a une tendance à l’uniformisation. Il n’y a pas un de mes copains humoristes qui ne comprend pas les sketchs des Américains. C’est « l’Union Internationale des Humoristes », si j’ose dire. Après, il faut arriver à se démarquer. L’avenir, c’est chacun pour soi. Il faut essayer de surprendre. Je vais plutôt m’occuper de mon avenir que celui des autres. Mais, il y a encore du travail, parce qu’on ne peut pas se faire virer d’abord. [rires] Il faut s’entêter. Il y a des touristes de l’humour. Je le dis encore : mes copains se foutaient de moi et de mes gags. Je n’avais pas la propre conscience de mes limites, ce qui me permettait de continuer. Si j’avais été en même temps qu’eux à me dire « Tu es une merde », j’aurais raté. Il ne faut pas être trop nul, il ne faut pas s’en rendre compte. L’avenir est aux artistes qui s’entêtent.
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Givrée, la programmation d’Antigel 2019
Genève n’est jamais la même après l’annonce de la programmation d’Antigel, le festival du décloisonnement artistique depuis 2011. Ses programmateurs viennent de dévoiler son line-up qu’ils qualifient de « kaléidoscopique » avec pour mot d’ordre : « Shake Genève ».
Pour marquer son 10e anniversaire au coeur de l’hiver genevois, Antigel réserve une surprise de taille, le 22 juillet 2019 au Victoria Hall, à mi-chemin, jour pour jour, entre les deux éditions : la venue exceptionnelle du all-stars band The Good, the Bad and the Queen. Ce supergroupe mené avec brio par Damon Albarn (de Gorillaz et Blur) abrite également les musiciens de The Clash, The Verve et Fela Kuti.
Une affiche musicale renversante
Sur les versants musicaux encore, l’événement accroche à son line-up l’impétueuse Brigitte Fontaine et sa poésie dissidente, en concert à l’Alhambra, comme L’Or du Commun, qui se fera le porte-parole de la nouvelle scène rap belge. L’Alhambra, point névralgique du festival, accueillera également le rock céleste des Américains de Low ou encore la folk de « notre » star (inter)nationale, Sophie Hunger.
Ailleurs, au Chat Noir, à l’Usine ou à l’Abri sont attendus les dandys de Feu! Chatterton, le solitaire Brendan Perry et sa new wave, la soul d’Odette, le rock turc d’Altin Gün ainsi que les, désormais, monuments rap genevois Di-Meh, Slimka, Makala et compagnie pour célébrer la première décennie de leur label Colors Records.
Dans les églises, les fermes, les piscines et les plages (oui, oui), infinité d’autres artistes sont attendus. À l’image de la folk de Kristin Hersh et Old Sea Brigade, la psyché rock des Viagra Boys, le blues de J.S. Ondara, ou la country-soul d’Odetta Hartman.
Les arts vivants ne seront pas en reste
On entend déjà les trois coups. À Antigel, la musique n’est pas seule. Ses (pas si) lointains cousins, Danse et Théâtre, sont également chéris par les programmateurs de l’événement genevois. Pour exemple : la troupe helvétique Philippe Saire et sa production audacieuse, « Hocus Pocus », présentée sur la scène du Théâtre de Bordeaux de Saint-Genis-Pouilly (France).
Côté « théâtre dynamité », au Théâtre du Grütli, la compagnie Motus, avec « MDLSX » (pour Middlesex) nous contera des récits autobiographiques et citations littéraires, traversés par les musiques des Smiths, Buddy Holly ou Stromae ; un électrisant manifeste queer.
Enfin, pêle-mêle, les rendez-vous sont pris avec la Brésilienne Lia Rodrigues et ses danseurs, l’objet artistique non identifié, mélange fouillé de sons et d’images, Dear Ribaine, l’invitation au voyage de Yves-Noël Genod, ou la rencontre avec les 11 artistes résidants de l’Abri de Genève, Rodeo Banquise.
L’Afrique du Sud à l’honneur
Cette année signe la fin de l’aventure Grand central dans la Tour CFF, avant la destruction de celle-ci. Il fallait, alors, pléthore de DJs à la hauteur pour terminer en beauté. L’ouverture s’annonce chaleureuse avec deux stars de la house sud-africaine, Lakuti et Esa.
Un pays qui sera d’ailleurs mis à l’honneur lors d’une autre soirée intitulée « South Africa X Geneva one love ». « L’occasion de créer un pont entre la scène électro queer sud-africaine et genevoise et de mettre en avant des artistes qui transforment la société ici et là-bas », expliquent les organisateurs.
Infos, billetterie et line-up complet sur www.antigel.ch.
Le 9e Antigel se déroulera du 1er au 23 février 2019, dans divers lieux.
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Le M3, enfin sur les rails… dans la nouvelle revue du Théâtre Boulimie
Il faudra attendre encore quelques années avant l’ouverture officielle du troisième métro lausannois, le M3. Mais pas de panique ! L’humoriste romand Blaise Bersinger et ses acolytes comédiens s’occupent de vous transporter dans les confins de l’actualité lausannoise et suisse en attendant, dans leur nouvelle revue, présentée au Théâtre Boulimie.
M3 – La nouvelle revue de Lausanne, un remake de la revue de Genève qui décortique l’actualité genevoise et suisse depuis plus de 120 ans ? Pas tellement. Après avoir été stand-upper à la dite revue en 2017, le co-animateur télé de Mauvaise Langue, Blaise Bersinger a découvert le monde de la revue de l’intérieur. Et c’est avec Sébastien Corthésy – producteur de spectacles, de contenus audiovisuels et metteur en scène – que l’idée d’importer ce concept à Lausanne, en le concoctant à leur sauce, est né.
« Moins vulgaire, moins raciste, moins xénophobe, moins cul : moins femmes avec des paillettes à moitié à poil et plus 2018 ». En d’autres termes, Blaise souhaite remettre au goût du jour ce genre théâtral satirique qui associe sketchs, musique et danse, à commencer par le choix du titre : « On ne voulait pas appeler ça juste la revue de Lausanne parce qu’on voulait se démarquer de l’image a priori qui existe par rapport aux revues. On est dans un truc nouveau, moderne et en même temps typiquement lausannois », explique-t-il. Cette revue d’un nouveau genre, écrite et réalisée par Blaise Bersinger, Benjamin Décosterd et Sébastien Corthésy, en collaboration avec les autres comédiens, a été jouée pour la première fois vendredi passé, au Théâtre Boulimie, à Lausanne.
Bien que certaines ambitions aient dû être revues à la baisse pour des raisons budgétaires – notamment la possibilité d’avoir un groupe de musique live à chaque représentation – les financements privés ont permis au spectacle de voir le jour en gardant effets sonores, lumineux et musique originale. On constate également que quelques changements ont été apporté entre les premiers filages et l’avant-première. En effet, le public est part intégrante du spectacle, qui va donc connaitre des modifications, au fil des représentations, et jusqu’à sa fin.
Traiter d’actualité par le biais de l’humour, avec des sketchs sur le deal de rue ou sur « No Billag », une façon de dénoncer des faits en douce ? « Je prends pas les choses dans cet ordre-là. J’aime faire rigoler les gens, c’est le but premier, et l’actualité se renouvelle constamment donc c’est plus facile, à mon sens, d’écrire dessus. Alors oui, ce que je trouve risible apparait dans le sketch et tu te fais rapidement une idée de mon opinion, mais le but n’est pas de rallier les gens à ma cause », raconte Blaise Bersinger.
Entre les sketchs sur les dix ans du M2, le match en coupe du monde Suisse-Serbie – qui a fini en polémique – ou les inondations de Lausanne, impossible pour les spectateurs de ne pas se sentir suisses mais surtout lausannois. Durant une heure et demie, les musiques créées exclusivement pour la revue, ainsi que les chorégraphies et effets visuels, embarquent les spectateurs dans un univers où la bonne humeur est au rendez-vous, peu importe les sujets traités.
Après un an de travail d’arrache-pied et de sueur, le spectacle s’installe du 2 novembre au 8 décembre 2018 au Théâtre Boulimie. Angoissé à l’idée que les billets ne se vendent pas, Blaise me confie qu’il se rend de temps à autres sur la billetterie afin de voir la quantité de places encore disponibles et en est, « pour l’instant », rassuré…
Informations et billetterie sur le site du Théâtre Boulimie.