Scène
Jérémy Ferrari fait son show face à un public de victimes consentantes
Samedi, 18h30 : j’arrive au théâtre Le Reflet, à Vevey pour le spectacle tant attendu de l’humoriste français, Jérémy Ferrari, popularisé en 2010 par l’émission On n’demande qu’à en rire. Je récupère mon billet à l’accueil, après quelques efforts bien sentis, et monte au balcon pour m’installer. Devant moi, une dame d’un certain âge demande à une bénévole si la fumée qui émane de la salle est créée volontairement ou si un incendie est en cours. La staff répond, avec un sourire cynique au coin des lèvres, que « la salle n’est pas encore en feux. » Le ton est donné.
La soirée débute avec un peu de retard. « Pour des raisons indépendantes de notre volonté, le spectacle de Jérémy Ferrari va commencer », finit par annoncer une voix. Des bruits d’explosions résonnent, le sol tremble sous l’effet des basses, des lumières éblouissantes clignotent… Et d’un coup, c’est le noir total. Le néant dure quelques secondes avant que les lumières se rallument, permettant ainsi aux spectateurs de découvrir la star du soir assise dans un fauteuil au milieu de la scène. Sous les applaudissements, Jérémy Ferrari se lève et gesticule tout en accueillant son public, venu l’écouter dans le cadre de la troisième soirée du Montreux Comedy Festival. Les mots de bienvenue prononcés, l’humoriste use directement de son ton de prédilection – l’humour (très) noir : « Voici les consignes de sécurité en cas d’attaque terroriste. » En désignant les sorties de secours, Jérémy Ferrari raconte qu’il a revisionné les images de l’attaque du Bataclan et qu’il aimerait qu’ici, dans le théâtre du Reflet, on se fasse flinguer avec classe, en cas de pépin : « Ce soir, pas question de s’entasser les uns sur les autres ou de se planquer sous le cadavre de Martine. » Sous les rires du public, la fine lame reprend de plus belle : « Toi, là-bas, je t’engage comme responsable sécurité. Viens sur scène. » Un jeune homme, Marco, âgé d’une vingtaine d’années à vue de nez, rejoint Jérémy Ferrari qui se met en tête de lui apprendre les rudiments du Close Combat.
Après avoir mimé un étranglement sanguin, montré comment désarmer un type qui tient une Kalashnikov, rigolé de la corpulence de son nouveau garde du corps, l’humoriste renvoie le jeune homme à son siège en concluant sur un « Ouf, Marco a retrouvé ses couilles. » Et ce n’est que le début.
Comme rarement vu auparavant, l’humoriste aborde un sujet plus personnel : sa famille. Il explique venir d’un milieu modeste et se souvient que la vie n’a pas toujours été simple. Ses parents ont notamment dû abandonner le commerce qu’ils tenaient, pour des raisons financières. Aujourd’hui, alors que tout lui sourit, l’humoriste dit, avec une fierté non dissimulée, qu’il a acheté une maison, pour la louer à ses parents : « Je leur fais un bail d’un an renouvelable, ils ne l’ouvrent plus », ironise-t-il.
Placer des pions dans l’immobilier n’a pas été la seule initiative du nouveau fortuné. Jérémy Ferrari dit dans son sketch avoir aussi investi dans Dassault, pensant placer son argent dans le développement d’éoliennes. Peu après avoir découvert la vraie nature de l’entreprise (conception et production d’armements), Jérémy Ferrari veut tout arrêter. En chemin pour annuler ses investissements, il hallucine et croit voler au côté d’Eric Zemmour et Bernard Henry-Lévy, dans un monde où tout peut être dit. « Les Arabes sont tous des terroristes », hurle le polémiste d’Extrême Droite. L’humoriste, ravi de cette liberté d’expression totale, articule : « Moi, je pense que les juifs sont… » avant d’être interrompu par BHL. Tordant.
Après avoir bu un peu d’eau, le nouveau Pierre Desproges s’imagine dans la tête du pompiste qui s’est retrouvé nez à nez avec les frères Kouachi, après la tuerie de Charlie Hebdo. Une fois les deux terroristes signalés à la police, l’employé de la station-service doit les retenir jusqu’à l’arrivée d’une patrouille à rollers, spécialement dépêchée pour l’occasion. Plusieurs horreurs drôlissimes plus tard, les tueurs ont faim et demandent s’il y’a un rayon halal. Jérémy Ferrari rétorque : « Halal ? Non. Mais, vous avez bien bossé. Vous pouvez vous permettre un jambon beurre ! »
En bref, Jérémy Ferrari manie les mots avec talent et ne se contente pas des lieux communs (même s’il en use par moment). On est loin du plateau de Laurent Ruquier et du clash, un peu simpliste, qui avait opposé Manuel Valls et le moqueur. Après 1h40 de spectacle, de rire et de grossièretés en tout genre (il dit lui-même qu’il n’y a pas beaucoup de gens dans la salle qu’il n’a pas insultés), l’humoriste quitte la scène sous un tonnerre d’applaudissements.
Je sors du théâtre et retourne à la vie réelle : je zigzague entre trois vomis en gare de Vevey, avant de poliment décliner l’offre d’un Monsieur aviné, qui souhaitait troquer mes écouteurs contre deux cigarettes. Le train, bondé, démarre et, avec Daft Punk feat. Julian Casablancas dans les oreilles, je rassemble mes ides d’écriture pour pouvoir rédiger mon texte le plus rapidement possible avant de partir vivre d’autres aventures nocturnes. Mission accomplie.
Scène
Givrée, la programmation d’Antigel 2019
Genève n’est jamais la même après l’annonce de la programmation d’Antigel, le festival du décloisonnement artistique depuis 2011. Ses programmateurs viennent de dévoiler son line-up qu’ils qualifient de « kaléidoscopique » avec pour mot d’ordre : « Shake Genève ».
Pour marquer son 10e anniversaire au coeur de l’hiver genevois, Antigel réserve une surprise de taille, le 22 juillet 2019 au Victoria Hall, à mi-chemin, jour pour jour, entre les deux éditions : la venue exceptionnelle du all-stars band The Good, the Bad and the Queen. Ce supergroupe mené avec brio par Damon Albarn (de Gorillaz et Blur) abrite également les musiciens de The Clash, The Verve et Fela Kuti.
Une affiche musicale renversante
Sur les versants musicaux encore, l’événement accroche à son line-up l’impétueuse Brigitte Fontaine et sa poésie dissidente, en concert à l’Alhambra, comme L’Or du Commun, qui se fera le porte-parole de la nouvelle scène rap belge. L’Alhambra, point névralgique du festival, accueillera également le rock céleste des Américains de Low ou encore la folk de « notre » star (inter)nationale, Sophie Hunger.
Ailleurs, au Chat Noir, à l’Usine ou à l’Abri sont attendus les dandys de Feu! Chatterton, le solitaire Brendan Perry et sa new wave, la soul d’Odette, le rock turc d’Altin Gün ainsi que les, désormais, monuments rap genevois Di-Meh, Slimka, Makala et compagnie pour célébrer la première décennie de leur label Colors Records.
Dans les églises, les fermes, les piscines et les plages (oui, oui), infinité d’autres artistes sont attendus. À l’image de la folk de Kristin Hersh et Old Sea Brigade, la psyché rock des Viagra Boys, le blues de J.S. Ondara, ou la country-soul d’Odetta Hartman.
Les arts vivants ne seront pas en reste
On entend déjà les trois coups. À Antigel, la musique n’est pas seule. Ses (pas si) lointains cousins, Danse et Théâtre, sont également chéris par les programmateurs de l’événement genevois. Pour exemple : la troupe helvétique Philippe Saire et sa production audacieuse, « Hocus Pocus », présentée sur la scène du Théâtre de Bordeaux de Saint-Genis-Pouilly (France).
Côté « théâtre dynamité », au Théâtre du Grütli, la compagnie Motus, avec « MDLSX » (pour Middlesex) nous contera des récits autobiographiques et citations littéraires, traversés par les musiques des Smiths, Buddy Holly ou Stromae ; un électrisant manifeste queer.
Enfin, pêle-mêle, les rendez-vous sont pris avec la Brésilienne Lia Rodrigues et ses danseurs, l’objet artistique non identifié, mélange fouillé de sons et d’images, Dear Ribaine, l’invitation au voyage de Yves-Noël Genod, ou la rencontre avec les 11 artistes résidants de l’Abri de Genève, Rodeo Banquise.
L’Afrique du Sud à l’honneur
Cette année signe la fin de l’aventure Grand central dans la Tour CFF, avant la destruction de celle-ci. Il fallait, alors, pléthore de DJs à la hauteur pour terminer en beauté. L’ouverture s’annonce chaleureuse avec deux stars de la house sud-africaine, Lakuti et Esa.
Un pays qui sera d’ailleurs mis à l’honneur lors d’une autre soirée intitulée « South Africa X Geneva one love ». « L’occasion de créer un pont entre la scène électro queer sud-africaine et genevoise et de mettre en avant des artistes qui transforment la société ici et là-bas », expliquent les organisateurs.
Infos, billetterie et line-up complet sur www.antigel.ch.
Le 9e Antigel se déroulera du 1er au 23 février 2019, dans divers lieux.
Scène
Le M3, enfin sur les rails… dans la nouvelle revue du Théâtre Boulimie
Il faudra attendre encore quelques années avant l’ouverture officielle du troisième métro lausannois, le M3. Mais pas de panique ! L’humoriste romand Blaise Bersinger et ses acolytes comédiens s’occupent de vous transporter dans les confins de l’actualité lausannoise et suisse en attendant, dans leur nouvelle revue, présentée au Théâtre Boulimie.
M3 – La nouvelle revue de Lausanne, un remake de la revue de Genève qui décortique l’actualité genevoise et suisse depuis plus de 120 ans ? Pas tellement. Après avoir été stand-upper à la dite revue en 2017, le co-animateur télé de Mauvaise Langue, Blaise Bersinger a découvert le monde de la revue de l’intérieur. Et c’est avec Sébastien Corthésy – producteur de spectacles, de contenus audiovisuels et metteur en scène – que l’idée d’importer ce concept à Lausanne, en le concoctant à leur sauce, est né.
« Moins vulgaire, moins raciste, moins xénophobe, moins cul : moins femmes avec des paillettes à moitié à poil et plus 2018 ». En d’autres termes, Blaise souhaite remettre au goût du jour ce genre théâtral satirique qui associe sketchs, musique et danse, à commencer par le choix du titre : « On ne voulait pas appeler ça juste la revue de Lausanne parce qu’on voulait se démarquer de l’image a priori qui existe par rapport aux revues. On est dans un truc nouveau, moderne et en même temps typiquement lausannois », explique-t-il. Cette revue d’un nouveau genre, écrite et réalisée par Blaise Bersinger, Benjamin Décosterd et Sébastien Corthésy, en collaboration avec les autres comédiens, a été jouée pour la première fois vendredi passé, au Théâtre Boulimie, à Lausanne.
Bien que certaines ambitions aient dû être revues à la baisse pour des raisons budgétaires – notamment la possibilité d’avoir un groupe de musique live à chaque représentation – les financements privés ont permis au spectacle de voir le jour en gardant effets sonores, lumineux et musique originale. On constate également que quelques changements ont été apporté entre les premiers filages et l’avant-première. En effet, le public est part intégrante du spectacle, qui va donc connaitre des modifications, au fil des représentations, et jusqu’à sa fin.
Traiter d’actualité par le biais de l’humour, avec des sketchs sur le deal de rue ou sur « No Billag », une façon de dénoncer des faits en douce ? « Je prends pas les choses dans cet ordre-là. J’aime faire rigoler les gens, c’est le but premier, et l’actualité se renouvelle constamment donc c’est plus facile, à mon sens, d’écrire dessus. Alors oui, ce que je trouve risible apparait dans le sketch et tu te fais rapidement une idée de mon opinion, mais le but n’est pas de rallier les gens à ma cause », raconte Blaise Bersinger.
Entre les sketchs sur les dix ans du M2, le match en coupe du monde Suisse-Serbie – qui a fini en polémique – ou les inondations de Lausanne, impossible pour les spectateurs de ne pas se sentir suisses mais surtout lausannois. Durant une heure et demie, les musiques créées exclusivement pour la revue, ainsi que les chorégraphies et effets visuels, embarquent les spectateurs dans un univers où la bonne humeur est au rendez-vous, peu importe les sujets traités.
Après un an de travail d’arrache-pied et de sueur, le spectacle s’installe du 2 novembre au 8 décembre 2018 au Théâtre Boulimie. Angoissé à l’idée que les billets ne se vendent pas, Blaise me confie qu’il se rend de temps à autres sur la billetterie afin de voir la quantité de places encore disponibles et en est, « pour l’instant », rassuré…
Informations et billetterie sur le site du Théâtre Boulimie.