Politique
« NoBillag » c’est fini. Mais que va devenir Nicolas Jutzet ?
À initiative radicale, résultat radical. Dimanche passé, 4 mars, le peuple suisse s’est prononcé à 71.6% en faveur du non sur l’initiative dite « NoBillag », visant la suppression de notre redevance audiovisuelle.
Quelques jours après le dénouement, nous nous sommes demandés ce qu’allait devenir Nicolas Jutzet, 23 ans, responsable de la campagne « NoBillag » pour la Suisse romande. Actuellement étudiant en économie et management à l’Université de Saint-Gall, il est également président des Jeunes Libéraux-Radicaux Neuchâtelois. Mais quels sont les prochains objectifs de celui qui a grandi « sans télévision, sans écran, sans console » ? De l’étranger, et « quelque peu surpassé par cette fin de campagne », il nous a répondu.
Interview réalisée le 6 mars 2018.
Slash : Salut Nicolas. On sort tout juste de ce dimanche de votations, et, malgré le très net rejet de l’initiative, comment s’est passé ton week-end ?
Nicolas Jutzet : Très intense. D’un côté, de la frustration face à l’ampleur du score qui laisse un goût d’inachevé, de l’autre, nous sommes fiers de notre travail de fond, et des nombreuses promesses faites par nos opposants. Plus rien ne sera plus jamais comme avant. Notre initiative aura permis de briser beaucoup de tabous et de lancer une discussion qui ne s’arrêtera plus. C’est cela notre victoire.
Une chose est sûre, que l’on soit pour ou contre « NoBillag », le projet aura eu le mérite de susciter le débat. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’il faut en retenir ?
Qu’un groupe de jeunes peut mettre une thématique à l’agenda politique et faire bouger les lignes. On a senti un réel vent de panique dans le camp adverse. Retenir également qu’un sujet politique peut intéresser et passionner la population en créant des débats de fond, qui donnent lieu à des discussions que seule la démocratie semi-directe et les outils que nous connaissons (initiative populaire, référendum) permettent. C’est une belle preuve de résilience et de pertinence pour notre système politique. Quand le parlement refuse de discuter sérieusement d’une thématique, le peuple peut prendre le relai. Il faut également retenir que personne n’a défendu le statu quo pendant la campagne. Il faut des réformes, c’est très clair.
Justement, nombreuses promesses de réformes ont été faites. Quelles sont-elles ?
Dans un papier de position sur les médias qui servait de « contre-projet » à notre initiative, le PLR demande d’exonérer les entreprises de la taxe. Au parlement, avec l’UDC, le PLR peut faire passer ce changement quand il veut. Si les promesses de campagne sont tenues, la taxation injuste des entreprises va rapidement disparaitre. On s’en réjouirait. Les jeunes Verts demandent de passer d’un système de redevance à une perception via l’impôt. Tout franc perçu autrement que par un système de redevance le sera de façon plus sociale qu’à ce jour.
D’autres proposent l’abaissement de la redevance à 300.- ou 200.- CHF. Et en sens inverse, certains voudraient désormais donner également de l’argent à la presse écrite, à l’ATS [l’Agence télégraphique suisse, ndlr.] et davantage aux médias locaux. Une seule certitude, le débat ne fait que commencer.
Et cette baisse de la redevance de 451.- à 365.- CHF, promise par le Conseil fédéral pour 2019, c’est une petite victoire ou pas du tout ?
La baisse est un leurre et une astuce comptable de politique politicienne. C’est l’exemple type de ce que nous dénonçons. On a transféré la facture aux entreprises qui paieront plus de 170 millions dès 2019 (41 millions à ce jour). De plus, on passe d’un système de redevance liée à l’appareil de réception à un modèle dans lequel chaque ménage paie, même sans radio ou télé. On élargit l’injustice et on alourdit la facture globale des entreprises. Quel libéral peut être satisfait d’une telle solution ?
“Le résultat d’aujourd’hui n’est pas tellement important”, indique @NicolasJutzet concernant l’initiative #NoBillag, qui se dirige vers un net refus. #CHvote Le suivi en direct des résultats: https://t.co/LAuYnELiM0 pic.twitter.com/P5ELRSRHTz
— RTSinfolive (@RTSinfolive) 4 mars 2018
Ta fameuse gimmick, durant toute la campagne, ce fut : « La télé “à la papa”, c’est terminé ». On peut te demander comment tes proches – et toi, par la force des choses – s’informaient lorsque tu étais enfant ? C’est de là, déjà, que te vient cette volonté de payer « uniquement pour ce que l’on consomme » ?
Très bonne question ! J’ai grandi sans télévision. Je lisais le journal chaque jour. Et des livres, beaucoup. À 10 ans, j’avais lu l’ensemble des BDs de ma bibliothèque scolaire… C’était un choix, un modèle d’éducation. Lire et jouer dehors, plutôt que de s’abrutir devant l’écran, c’était ça le message en somme. Sans télévision, sans écran, sans console jusqu’à mes 12 ans. Mon seul contact avec la télé « à la papa » c’était chez mes grands-parents ou mes amis, pour voir l’équipe nationale de football et d’autres rendez-vous du genre. Cette réalité faisait de moi un ovni dans toute discussion sur le dernier dessin animé, film XY. Pour schématiser, j’étais le petit suisse-allemand hyperactif qui savait tout, mais qui perdait son latin quand il s’agissait de TV. Je n’ai aucun lien fort avec l’audiovisuel, je suis amoureux de l’écrit, qui permet la nuance et le développement.
Entre-temps, mes parents possèdent une télévision et passent bien plus de temps devant en une semaine que moi en une année… Par la force des choses, je dois regarder certaines émissions, pour être au courant de l’actualité politique, comme Infrarouge. J’écoute Forum, et les archives d’Henri Guillemin sur le site de la RTS, depuis mon smartphone ou mon ordi’. Mais sinon, rien de fixe… Et jamais, ou presque, devant une TV. À l’étranger, je regarde volontiers les débats de Zemmour & Naulleau…
À seulement 23 ans, tu as été l’une des figures marquantes du « Oui à la suppression des redevances radio et télévision », présent sur tous les plateaux, entendu dans toutes les radios – en Suisse comme en France… Qu’est-ce qui va se passer pour toi maintenant ? Un nouvel objectif ?
Oh, après cette aventure merveilleuse, avec une équipe de choc, il sera compliqué de trouver d’autres sujets qui nous passionnent autant. Voire même impossible. À titre personnel, je vais me focaliser sur le débat d’idées, je laisse l’arène politique à d’autres. Je compte investir mon énergie pour mes études et me laisser le temps de lire et d’entreprendre. Bref, j’aimerais avoir le temps d’avoir le temps. L’objectif sur le long terme c’est de sensibiliser la population aux idées libérales. Il s’agit désormais d’identifier la meilleure façon d’y arriver, via un parti, via un think tank, sur les réseaux sociaux, etc. De l’intérieur ou de l’extérieur ? L’objectif, sur le court terme, c’est de trouver cette réponse.
Qu’est-ce que l’on peut te souhaiter ?
De continuer à garder ce petit sourire narquois et à porter fièrement mes idées, sans jamais faiblir ou frémir, tout en donnant à réfléchir.
Merci Nicolas.
Une SSR désormais en mode « réforme permanente »
De son côté, même si le scénario catastrophe a été évité, la SSR sourit doucement. « Ce dimanche 4 mars restera comme une date charnière dans l’histoire de la SSR. Il nous engage au changement permanent pour répondre aux attentes de la population », a déclaré son patron, Gilles Marchand. Avant d’annoncer, dans la foulée, qu’un plan d’économies de 100 millions de francs est attendu dès 2019 et sera mis en œuvre jusqu’en 2024. Des emplois seront touchés.
Gilles Marchand détaille les premières mesures qui vont toucher la SSR et qui “vont affecter des emplois”, dans la foulée du rejet de l’initiative #NoBillag. #Chvote pic.twitter.com/YoV8YOHxZw
— RTSinfolive (@RTSinfolive) 4 mars 2018
Actu
“Maman, j’ai raté l’avion”, version PLR
COMMENTAIRE. Tout juste remis de leur cuisante défaite zurichoise, le #TeamFDP ou PLR (si jamais l’organe communication du parti oubliait à nouveau que la Romandie est en Suisse) se lance dans l’industrie juteuse de l’écologie.
Il paraît que l’on apprend de ses erreurs. Généralement, cette citation a le mérite d’être avantageuse. Mais pas tout le temps. Dans le cas précis du revirement écologique du PLR, cela ressemble plutôt à un «changeons notre fusil d’épaule». Car oui, le parti de droite s’intéresse à cette problématique désormais. Dès le vendredi 29 mars, les libéraux-radicaux ont lancé un sondage parmi leurs 120’000 adhérents sur les attentes écologiques de ceux-ci.
«Le PLR n’a pas été compris»
Benoît Genecand (PLR, GE), conseiller national et membre de la commission de l’environnement, a répondu aux questions de La Liberté (29.03.2019). À propos de l’échec au Conseil national de la loi sur le CO2, il a déclaré : «Le PLR n’a pas été compris». Alors, cher Monsieur, je crois plutôt que c’est vous qui n’avez pas compris. Les jeunes d’aujourd’hui (pas tous, mais beaucoup tout de même) désirent des actions concrètes.
Ce monde que vous quitterez sûrement plus tôt que nous change et il ne faut pas le laisser agoniser. Non, la Suisse ne peut pas modifier le futur du climat à elle seule. Oui, la réussite économique de notre pays (qui nous permet tout de même de vivre dans un certain confort) a nécessité certaines décisions pas des plus vertes. Mais nous pouvons être un exemple. Nous pouvons tenter (au moins cela) de coupler réussite économique et respect de l’environnement. Pas en un jour ni en une année. Mais cela vaudrait le détour d’y réfléchir. Votre intérêt subit pour l’écologie n’est point à blâmer. Votre timing, oui.
Pourquoi s’y intéresser uniquement après une défaite ? Votre puissance politique est-elle plus importante que vos idées ? Car si vous avez bel et bien raté l’avion sur ce sujet, il n’est jamais trop tard pour prendre le prochain train.
Politique
Trump, une once de bienfaisance ?
Si comme moi, à chaque nouveau tweet de Trump, vous vivez une émotion de surprise, un éclat de rire puis vous soupirez de désespoir, vous serez tout aussi dubitatif à l’idée qu’il ait pu avoir un grand impact positif sur la population des États-Unis.
Pourtant, c’est bien ce qu’a voulu nous transmettre Sharon Smith lors de sa conférence à Lausanne la semaine dernière. Encore plus surprenant : l’écrivaine se définit elle-même comme une « socialiste révolutionnaire ».
L’activiste et auteure de Women and Socialism est cependant bien loin d’être une partisane du président américain.
« Je suis ici pour vous raconter ce que ça fait de vivre dans l’Amérique de Trump. Tous les matins, lorsque l’on regarde les réseaux sociaux, c’est comme se prendre une baffe dans la figure. »
En effet, dire que les deux premières années de son mandat ont été pleines de rebondissements serait un euphémisme ; entre ses tweets incendiaires contre Kim Jong-Un alias Rocket Man, son légendaire « Just grab them by the pussy ! » (« Il suffit de les attraper par la chatte ! ») ou son commentaire éclairé après les violences de 2017 à Charlottesville : « Je crois que les deux parties sont responsables ».
Just heard Foreign Minister of North Korea speak at U.N. If he echoes thoughts of Little Rocket Man, they won’t be around much longer!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 24 septembre 2017
« Je viens d’entendre le ministre des affaires étrangères nord-coréenne parler à l’ONU. S’il répète les pensées du petit Rocket Man, ils ne seront plus là pour très longtemps ! »
Une augmentation du nombre de groupuscules extrémistes aux États-Unis a été constatée pendant les trois dernières années de la présidence Obama, par le « Hate Watch » (observatoire de la haine) du Southern Poverty Law Center. Sharon Smith pense d’ailleurs que « même si les mouvements fascistes ont déjà été beaucoup plus présents par le passé, ils risquent de s’étendre et de se multiplier à nouveau, car le gouvernement les nourrit indirectement ».
Alors, une bénédiction ?
En arrivant au pouvoir avec ces gros sabots et son langage plus que politiquement incorrect, Trump a aussi nourri, malgré lui, une forme de résistance.
On constate que les protestations des mouvements socialistes ou d’autres plutôt à gauche ont gagné de l’ampleur. De plus en plus de manifestations sont nationales, voire internationales et non plus cantonnées à une ville. Le nombre de participants à ces élans de protestation a donc drastiquement augmenté depuis l’arrivée au pouvoir de la mèche orange.
La March For Women’s Lives (Marche pour la vie des femmes) de 2004 qui avait regroupé cinq-cent-mille personnes ou la People’s Climate March (Marche du peuple pour le climat) de 2014 avec ses quatre-cent-mille participants, peuvent en effet paraître anecdotiques en comparaison aux quatre-millions de manifestants à la Women’s March (Marche des femmes) de 2017 ou à la March For Our Lives (Marche pour nos vies) qui a regroupé deux-millions de personnes cette année.
Pour notre socialiste révolutionnaire, Trump a réveillé les Américains et les a poussés à se battre pour leurs droits. L’écrivaine voit une suite logique entre la Women’s March, le mouvement #Metoo et les protestations contre la nomination de Brett Kavanaugh à la Cour suprême ce mois.
Bien que ce dernier ait quand même eu le poste, Smith remarque que de plus en plus de mouvements de protestation arrivent à leurs fins. On note par exemple l’augmentation du salaire de ses employés par Amazon annoncée en septembre ou la campagne « Hands off, pants on ! » (« Bas les mains et pantalons remontés ! »), émanant du milieu hôtelier de Chicago, qui a abouti à des mesures pour protéger les employés du harcèlement sexuel.
Enfin, Sharon Smith considère donc que « de savoir que des choses qui étaient impensables il y a quelques années, sont maintenant en train de se passer, ça, c’est une raison de se réjouir. Et ça me suffit pour l’instant… »
Women and Socialism : Class, Race and Capital
Sharon Smith
Éd. Haymarket Books, 2015 – 260 pages