Politique
Do you speak No Billag ?
Comme d’hab’, ça va clasher sec entre la gauche et la droite suisse dans les mois qui viennent. Ça va se taper dessus à coups de statistiques tout en s’excitant sur Twitter et Facebook. Sans oublier les slogans et images “coup de poing” ayant pour but d’attirer notre attention (à défaut de nous assommer… et encore).
Slash va profiter du calme avant la tempête. Notre but ? Te faire comprendre pourquoi l’issue de No Billag risque de marquer un tournant dans ta vie, même si tu ne t’en rends peut-être pas encore compte. On va tenter de te donner quelques éléments de réflexion à partager avec tes potes.
Payer une taxe pour la télévision et radio suisse, alors que tu n’utilises pas ces médias, ça peut paraître stupide. Pourquoi diable payer pour quelque chose dont on n’a pas l’utilité ? Voilà la question extrêmement sensible à laquelle les opposants à l’initiative doivent répondre et… on va s’y employer. Mais commençons par le commencement.
Le débat No Billag, kezako ?
Le 4 mars prochain, nous serons appelés aux urnes afin de prendre position sur cette question qui semble cruciale pour l’avenir de la démocratie suisse. Supprimer la perception d’une redevance radio/télévision, ainsi que toute exploitation de médias publics en Suisse, voilà le but de No Billag.
Actuellement, la taxe s’élève à 451.10 CHF par année et assure une base financière à la télévision et radio publique. Cette redevance leur permet de proposer des programmes indépendants (toutes les infos sur Billag.ch). En Romandie, nombreux médias sont alors menacés. Couleur 3, Léman Bleu, La Première, Option Musique, Rhône FM, La Télé… Darius Rochebin, Les Orties ou encore Temps Présent sont donc, entre autres, en ligne de mire.
L’objet de cette votation met la SSR (la Société suisse de radiodiffusion et télévision) dans de beaux draps… En qualité de régisseur médias dit de « Service Public », sa mission est, parmi d’autres, d’informer les citoyens de ce qu’il se passe dans la sphère politique. Problème ? La SSR étant directement concernée par l’objet du scrutin, le camp adverse ne manquera pas de crier au scandale à la moindre potentielle prise de position. Jouer au funambule avec une épée de Damoclès sur la tête, voilà ce à quoi devra s’employer la SSR jusqu’au scrutin.
L’actualité No Billag au 13 novembre 2017
Le Conseil fédéral a décidé de baisser la redevance dès 2019. Un franc symbolique par jour, soit 365 francs par an nous seraient alors demandés. C’est moins que les 450 actuels, donc, au lieu de se faire assassiner, la SSR devrait se serrer la ceinture.
Sinon, il y a de cela quelques jours, la plateforme de financement participatif Wemakeit a décidé d’interrompre la levée de fonds pour les pro « No Billag ». En refusant d’offrir son soutien à une initiative qui ne reflète pas son idéologie, Wemakeit a déchaîné les passions sur Twitter.
Statement du président @NoBillag Romandie @NicolasJutzet! https://t.co/o7y6jhaEil #WeMakeitBetter
— Florian Schwab (@FlorianSchwab) 10 novembre 2017
Prenant un peu de hauteur, le conseiller communal lausannois Benoît Gaillard a rebondi sur cette actualité, afin de souligner, dans un post sur son blog hébergé par Le Temps, le risque de voir cette initiative aboutir : « (…) [Wemakeit] décide de faire usage du pouvoir que lui confère son activité et sa force économique sur le marché du crowdfunding en Suisse pour promouvoir une opinion politique. La décision de la plate-forme incarne donc précisément ce qu’on peut craindre d’un paysage des médias sans le pôle public qu’incarnes les chaînes et sites de la SSR : un affrontement de groupes pours lesquels l’information est non seulement une activité purement économique, mais aussi parfois une manière de faire avancer des intérêts privés en choisissant lesquelles mettre en avant ou l’angle sous lequel les traiter. » (sic.)
Voilà qui semble être le cœur du débat. L’information en Suisse va-t-elle devenir une activité purement économique visant à faire du chiffre et, de temps en temps, servir d’outil de propagande ? À l’ère du putaclic, on se demande où vont passer les articles de qualité qui demandent du temps. Car oui, le journalisme d’investigation nécessite un investissement financier certain : transport, nourriture, hébergement, traduction, guides, recherches… Si nous refusons de payer pour ce journalisme de qualité, ce sera le divertissement qui, beaucoup plus rentable, prendra le pas sur la diffusion d’informations nécessaires au bon fonctionnement de notre démocratie. Le divertissement en soi n’est pas à proscrire ; tout est une question d’équilibre.
Quelle démocratie ? Au final, la balle sera dans le camp de celui qui saura crier le plus fort… Ou payer le plus
C’est souvent à la notion de démocratie que l’on se raccroche désespérément dans tous les partis. Au fond, cette vision de la Suisse comme paradis démocratique n’est-elle pas quelque peu… Obsolète ? Dans un contexte d’infobésité et de campagnes politiques où les financements ne sont pas égaux, c’est à qui fera le plus gros buzz. Christoph Blocher, tu nous refais un petit plongeon dans ta magnifique piscine ?
Pour bien choisir, il faudrait à priori savoir. Notre système nous permettant à tous de voter, le savoir semble être un enjeu capital. Comment se forger une opinion sans un service public de qualité relayant, dans la mesure du possible, tout ce qui est d’intérêt public ? Pour reprendre les mots de Christian Campiche, auteur de « La presse romande assassinée », on ne saurait pas pourquoi on paye nos impôts sans la presse.
La crise du journalisme
Niveau économique, ça chauffe depuis un certain temps pour les journalistes. Les artisans du débat public ont actuellement le couteau sous la gorge. La faute à qui? Certes, à l’évolution des pratiques des citoyens qui adorent cliquer sur des vidéos de chats, mais également aux GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) qui engloutissent une grosse partie des recettes publicitaires des médias. Ne pouvant se dérober à l’emprise de ces nouveaux acteurs économiques sans risquer leur survie, les médias se voient obligés d’investir les réseaux sociaux en se pliant au dictat de l’algorithme. Si No Billag passe, il est fort à parier que nous basculerons totalement dans une logique marchande de l’information. Celui qui pourra investir le plus dans son média coiffera tous les autres au poteau, choisissant avec soin les sujets à traiter ou à laisser de côté.
Le débat public et les médias
Certains clament haut et fort que les médias forgent l’opinion publique. La chose semble un peu plus complexe. Selon le psycho-sociologue Gabriel Tarde, les médias de masse ne proposeraient qu’un menu pour alimenter les discussions. Ce menu aurait pour effet de délier les langues et d’élever le commérage de bistrot au statut de conversation constructive, surtout concernant les questions politiques. Dès lors, quoi de mieux que de lancer une initiative « No Billag », afin de couper court au débat public lorsqu’on en a assez de voir ses affiches au style propagandiste être analysées et dénoncées dans les médias publiques, accessibles à tous ? Se diriger vers des médias privés, complètement régis par les règles de l’économie de marché semble être une solution stratégique de choix. Que chacun puisse choisir son média comme il l’entend ? Mais dites-moi, n’est-ce pas la meilleure recette pour devenir ce que l’on nomme communément dans le jargon… « un vieux con(combre) ? » Une pensée unique dictée par les billets de banque. Vive la démocratie !
Pour aller plus loin :
- Emission Medialogues : Histoire de la presse romande & La presse assassinée
- Emission France Inter : L’info copiée-collée
- Emission Last Week Tonight with John Oliver (HBO) : Journalism
- Article du Temps : La SSR peut-elle rester neutre dans le débat « No Billag » ?
- Article du Temps : Doris Leuthard lance la campagne contre « No Billag »
Actu
“Maman, j’ai raté l’avion”, version PLR
COMMENTAIRE. Tout juste remis de leur cuisante défaite zurichoise, le #TeamFDP ou PLR (si jamais l’organe communication du parti oubliait à nouveau que la Romandie est en Suisse) se lance dans l’industrie juteuse de l’écologie.
Il paraît que l’on apprend de ses erreurs. Généralement, cette citation a le mérite d’être avantageuse. Mais pas tout le temps. Dans le cas précis du revirement écologique du PLR, cela ressemble plutôt à un «changeons notre fusil d’épaule». Car oui, le parti de droite s’intéresse à cette problématique désormais. Dès le vendredi 29 mars, les libéraux-radicaux ont lancé un sondage parmi leurs 120’000 adhérents sur les attentes écologiques de ceux-ci.
«Le PLR n’a pas été compris»
Benoît Genecand (PLR, GE), conseiller national et membre de la commission de l’environnement, a répondu aux questions de La Liberté (29.03.2019). À propos de l’échec au Conseil national de la loi sur le CO2, il a déclaré : «Le PLR n’a pas été compris». Alors, cher Monsieur, je crois plutôt que c’est vous qui n’avez pas compris. Les jeunes d’aujourd’hui (pas tous, mais beaucoup tout de même) désirent des actions concrètes.
Ce monde que vous quitterez sûrement plus tôt que nous change et il ne faut pas le laisser agoniser. Non, la Suisse ne peut pas modifier le futur du climat à elle seule. Oui, la réussite économique de notre pays (qui nous permet tout de même de vivre dans un certain confort) a nécessité certaines décisions pas des plus vertes. Mais nous pouvons être un exemple. Nous pouvons tenter (au moins cela) de coupler réussite économique et respect de l’environnement. Pas en un jour ni en une année. Mais cela vaudrait le détour d’y réfléchir. Votre intérêt subit pour l’écologie n’est point à blâmer. Votre timing, oui.
Pourquoi s’y intéresser uniquement après une défaite ? Votre puissance politique est-elle plus importante que vos idées ? Car si vous avez bel et bien raté l’avion sur ce sujet, il n’est jamais trop tard pour prendre le prochain train.
Politique
Trump, une once de bienfaisance ?
Si comme moi, à chaque nouveau tweet de Trump, vous vivez une émotion de surprise, un éclat de rire puis vous soupirez de désespoir, vous serez tout aussi dubitatif à l’idée qu’il ait pu avoir un grand impact positif sur la population des États-Unis.
Pourtant, c’est bien ce qu’a voulu nous transmettre Sharon Smith lors de sa conférence à Lausanne la semaine dernière. Encore plus surprenant : l’écrivaine se définit elle-même comme une « socialiste révolutionnaire ».
L’activiste et auteure de Women and Socialism est cependant bien loin d’être une partisane du président américain.
« Je suis ici pour vous raconter ce que ça fait de vivre dans l’Amérique de Trump. Tous les matins, lorsque l’on regarde les réseaux sociaux, c’est comme se prendre une baffe dans la figure. »
En effet, dire que les deux premières années de son mandat ont été pleines de rebondissements serait un euphémisme ; entre ses tweets incendiaires contre Kim Jong-Un alias Rocket Man, son légendaire « Just grab them by the pussy ! » (« Il suffit de les attraper par la chatte ! ») ou son commentaire éclairé après les violences de 2017 à Charlottesville : « Je crois que les deux parties sont responsables ».
Just heard Foreign Minister of North Korea speak at U.N. If he echoes thoughts of Little Rocket Man, they won’t be around much longer!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 24 septembre 2017
« Je viens d’entendre le ministre des affaires étrangères nord-coréenne parler à l’ONU. S’il répète les pensées du petit Rocket Man, ils ne seront plus là pour très longtemps ! »
Une augmentation du nombre de groupuscules extrémistes aux États-Unis a été constatée pendant les trois dernières années de la présidence Obama, par le « Hate Watch » (observatoire de la haine) du Southern Poverty Law Center. Sharon Smith pense d’ailleurs que « même si les mouvements fascistes ont déjà été beaucoup plus présents par le passé, ils risquent de s’étendre et de se multiplier à nouveau, car le gouvernement les nourrit indirectement ».
Alors, une bénédiction ?
En arrivant au pouvoir avec ces gros sabots et son langage plus que politiquement incorrect, Trump a aussi nourri, malgré lui, une forme de résistance.
On constate que les protestations des mouvements socialistes ou d’autres plutôt à gauche ont gagné de l’ampleur. De plus en plus de manifestations sont nationales, voire internationales et non plus cantonnées à une ville. Le nombre de participants à ces élans de protestation a donc drastiquement augmenté depuis l’arrivée au pouvoir de la mèche orange.
La March For Women’s Lives (Marche pour la vie des femmes) de 2004 qui avait regroupé cinq-cent-mille personnes ou la People’s Climate March (Marche du peuple pour le climat) de 2014 avec ses quatre-cent-mille participants, peuvent en effet paraître anecdotiques en comparaison aux quatre-millions de manifestants à la Women’s March (Marche des femmes) de 2017 ou à la March For Our Lives (Marche pour nos vies) qui a regroupé deux-millions de personnes cette année.
Pour notre socialiste révolutionnaire, Trump a réveillé les Américains et les a poussés à se battre pour leurs droits. L’écrivaine voit une suite logique entre la Women’s March, le mouvement #Metoo et les protestations contre la nomination de Brett Kavanaugh à la Cour suprême ce mois.
Bien que ce dernier ait quand même eu le poste, Smith remarque que de plus en plus de mouvements de protestation arrivent à leurs fins. On note par exemple l’augmentation du salaire de ses employés par Amazon annoncée en septembre ou la campagne « Hands off, pants on ! » (« Bas les mains et pantalons remontés ! »), émanant du milieu hôtelier de Chicago, qui a abouti à des mesures pour protéger les employés du harcèlement sexuel.
Enfin, Sharon Smith considère donc que « de savoir que des choses qui étaient impensables il y a quelques années, sont maintenant en train de se passer, ça, c’est une raison de se réjouir. Et ça me suffit pour l’instant… »
Women and Socialism : Class, Race and Capital
Sharon Smith
Éd. Haymarket Books, 2015 – 260 pages