Repérages
Le rap post-soviétique : un phénomène culturel et identitaire
La scène musicale se développe constamment en Europe de l’Est et quelques artistes se sont exportés au-delà de cette région encore méconnue pour beaucoup. La clé de leur succès : un style moderne, imprégné de leurs cultures respectives. Voici trois artistes qui ont de grandes ambitions et qui construisent un pont entre la scène internationale et les cultures post-soviétiques.
Depuis la chute de l’URSS, les nations émergentes se redéfinissent politiquement mais aussi culturellement. Au milieu de ce processus se trouve une jeunesse confuse, qui cherche sa place entre les souvenirs soviétiques de leurs parents et le développement parfois chaotique de leurs pays. Alors que certains artistes d’Europe l’Est se conforment aux cadres de la musique internationale et essaient de rentrer dans le moule, une partie a décidé de se construire une identité unique en se jouant de leurs origines. Le rap post-soviétique, et russe particulièrement, bien qu’inspiré par l’Ouest dans les années 1990, se distingue de plus en plus par une valorisation de l’identité et des racines. C’est pourquoi la culture et la langue nationale jouent un rôle important dans le style post-soviétique. Slash vous présente trois artistes qui cherchent à exporter leur travail et à créer le lien entre l’Est et l’Ouest. Ces musiciens se laissent influencer par leur héritage post-soviétique, mais avec le regard tourné vers l’extérieur.
Little Big
Difficile de catégoriser la musique de ce groupe atypique formé en 2013 à Saint-Pétersbourg. Ces Russes vacillent entre un genre rave et rap, à connotation parfois très trash. Leur image est unique, un chanteur-rappeur tatoué, une chanteuse naine, ou encore un clown terrifiant. Ils font leur première apparition publique en ouverture de Die Antwoord et se font directement voir comme leurs égaux russes. Le groupe connait un succès immense en Russie et s’exporte aussi en Europe, notamment avec une tournée en France en 2015. Ils ont depuis sorti 3 albums, 9 singles et plus d’une vingtaine de vidéos virales. Ils produisent leurs clips eux-mêmes, et expliquent que les côtés sombres représentent les problèmes de la société post-soviétique. Le groupe joue avec les stéréotypes russes de manière ironique, ce qui est devenu sa marque de fabrique. Bien que le trash et le sarcasme vont très loin avec Little Big, leur but n’est pas seulement de partager ironiquement la culture russe mais aussi d’interpeler sa société. Ils ont créé leur propre label « Little Big Family » et collaborent souvent avec d’autres artistes de la scène post-soviétique et d’ailleurs.
Tatarka
La jeune femme n’est pas encore très connue sur la scène internationale mais elle fait parler d’elle en Russie. D’origine Tatar, elle mélange dans ses paroles sa langue natale et l’anglais, ce qui donne une touche très exotique. Elle a trois singles à son actif, un premier sorti en 2016 « Алтын »entièrement en langue tatar, « U Can Take Me » en collaboration avec Little Big – dont le chanteur principal chante en anglais et Tatarka en Tatar – et le dernier « Pussy Power », dans lequel la jeune femme chante entièrement en anglais. Les trois singles sont accompagnés de clips, produit par les mêmes producteurs que Little Big, dont elle a assuré les ouvertures à plusieurs reprises. Ses vidéos l’aident à se construire une notoriété, elles sont artistiques et comportent un mélange de modernité avec la culture de l’Est. La jeune femme porte d’ailleurs les habits du nouveau designer post-soviétique en vogue, Gosha Rubchinskiy. Tatarka est la découverte féminine de la scène russe et a beaucoup de potentiel. Son premier album est très attendu et sera en langue tatar et anglaise, ce qui ouvre les portes à la scène internationale tout en gardant une touche culturelle très forte.
Tommy Cash
L’enfant terrible du rap post-soviétique n’est plus à présenter. Tommy Cash s’est fait un nom en Europe et même au-delà. Originaire d’Estonie, il grandit dans un quartier défavorisé de Tallin qu’il surnomme le « Detroit de la ville ». À 15 ans, il arrête ses études secondaires et part vadrouiller dans toute l’Europe avec un groupe d’amis pour se faire de l’argent en dansant dans la rue. Ses talents de danseurs se retrouvent dans ses vidéos, qui à l’instar de Little Big, reçoivent des critiques controversées. Tommy Cash collabore même avec le groupe russe dans « Give Me Your Money », qui reprend absolument tous les clichés sur l’Europe de l’Est. Leur collaboration ne s’arrête pas là, ils produisent aussi une mini-série « Americans Russians » sur YouTube, qui raconte une histoire comique et déjantée de Tommy et Ilich (chanteur principal de Little Big) voulant vivre le rêve américain. Aujourd’hui, Tommy Cash tourne dans toute l’Europe et rêve d’atteindre les Etats-Unis. Son style unique et ses références aux clichés d’Europe de l’Est en font l’un des artistes les plus en vogue du rap post-soviétique.
Il serait erroné de se limiter à ces artistes pour décrire la scène musicale d’Europe de l’Est. Chaque pays a ses talents et beaucoup de musiciens deviennent des références nationales dans le genre. Nous nous sommes ici intéressés aux noms qui ont le potentiel de s’imposer sur la scène internationale et qui ont créé leur succès grâce à leur culture post-soviétique. D’autres talents restent cachés, car ils préfèrent utiliser leur langue nationale au lieu de l’anglais. Et il faut avouer que pour certains artistes, cela ajoute un charme indéniable à leurs productions.
Il est aussi facile de retrouver des influences culturelles dans les paroles ou les vidéos de ces musiciens, largement influencés par leur jeunesse et leur vie dans une société post-soviétique. On pense bien sûr à Taco Hemingway et Adi Nowak, deux grands noms du rap polonais qui défient les standards d’Europe de l’Ouest avec des voix mélodiques et une atmosphère très artistique. Il y a aussi Макс Корж, dont les vidéos de grande qualité décrivent la jeunesse en Biélorussie (voir ci-dessous), Грибы qui mélange humour et vie Ukrainienne, et enfin le russe Антоха МС qui s’est créé un style rétro transpirant le bloc soviétique. Ces artistes sont loin du cliché des rappeurs de l’Ouest. Ils mettent en avant leur singularité et connaissent le succès grâce à leurs styles uniques, artistiques, proche de leur société. Le rap post-soviétique est un ensemble d’artistes, de pays et de genres, mais c’est avant tout le reflet d’une jeunesse qui cherche sa place et qui dénonce sa société au travers de la musique. On espère que bientôt, l’Est et l’Ouest se rencontreront, non plus sur une scène historique mais cette fois musicale.
Repérages
À voir : “Angry”, le clip dystopique de Yael Miller
Après une belle aventure à la tête du groupe Orioxy, la chanteuse Yael Miller ouvre une nouvelle page avec son premier album «00-08» sur lequel figure le titre Angry, dont le clip, réalisé par la vaudoise Mei Fa Tan, sort aujourd’hui.
Dans un monde proche du nôtre, on déballe en laboratoire une jeune fille, sous les traits de la comédienne sino-brésilienne Isabela de Moraes Evangelista, pour en faire le visage de diverses marques. Manipulée, façonnée selon les désirs du marketing, elle est usée jusqu’à l’épuisement, puis disposée et remplacée, dans une boucle sans fin et sans issue.
À l’aide d’une réalisation épurée et directe, Mei Fa Tan, récompensée aux Journées de Soleure pour ses précédents travaux, nous plonge dans cet univers étrange mais pourtant familier.
Le titre aborde les émotions qui peuvent prendre le dessus sur la vie, ces voix qui nous hantent et nous paralysent. Il parle aussi de l’acceptation de vivre avec notre sensibilité et de comment la transcender.
La collaboration artistique et humaine entre Yael Miller et Mei Fa Tan questionne, ainsi notre rapport à la consommation et au corps des femmes.
«00-08» est à retrouver sur toutes les plateformes de téléchargement légal – yaelmillermusic.com
Artistes
5 groupes suisses à découvrir ou redécouvrir
Le milieu musical suisse regorge de talents. Pour bien commencer cette année 2019, Slash vous fait découvrir ou redécouvrir cinq groupes ou artistes à écouter absolument. Un mélange de styles, du nouveau et du connu : un joli melting-pot rien que pour vos oreilles.
Giant Papaya
Le groupe lausannois Giant Papaya est formé par deux rappeurs ayant déjà travaillé individuellement (Big Friendly Giant et Grand Papa Tra). En anglais, ils balancent leur flow avec une petite touche groovy. Leur premier album en duo, «Juice», promet beaucoup !
Giant Papaya sera en concert le 19 janvier 2019 au «Week-end Rap & Trap III» du Nouveau Monde de Fribourg.
Petit Navire
Leur premier EP «Bali» a tout de même été signé sous le label de l’artiste belge Lost Frequencies, Found Frequencies. Le duo Petit Navire, composé de Gaston et Adam, se définit comme lausannois, ville de leur rencontre. Actuellement, les deux jeunes finissent une collaboration avec le producteur barcelonais Yall.
Submaryne
Rien qu’en écoutant le titre «Bali», on a l’impression de se retrouver sur une plage, en été, un cocktail à la main. Les sonorités estivales sont encore sublimées par la sublime voix de Submaryne, jeune chanteuse lausannoise. L’artiste a sorti en 2018 son premier album « Encore », dans lequel plusieurs reprises vous feront revisiter des classiques comme « Hit Sale » de Therapie Taxi ou « Junebug » de Robert Francis.
La Gale
Karine Guignard, alias La Gale, produit un rap engagé. La Lausannoise ose mélanger quelques sonorités rock ou orientales. Elle distille ses punchlines avec une aisance déconcertante.
Director
Le groupe fribourgeois continue son ascension dans le monde du rock suisse. Formé par cinq potes (Hugo, Luca, Raphaël, Mattia et Blaise), Director jouera notamment aux Hivernales de Nyon et compte bien faire bouger le public avec son indie rock déroutant.
Director sera en concert le 9 février 2019 au Ned Club de Montreux, puis Le 28 février 2019 au festival Les Hivernales de Nyon.