Critiques
« La femme la plus assassinée du monde », biopic d’un vrai (faux) meurtre
« Inspiré de faits réels », « basé sur une histoire vraie »,… Vous avez probablement déjà pu lire une phrase de ce type au début d’un film ou d’un autre. Elle témoigne d’un mélange des genres cinématographiques entre fiction, biopic et documentaire.
Au détour des projections du Festival du film fantastique de Neuchâtel (NIFFF), un de ces films a attiré mon attention : La femme la plus assassinée du monde de Frank Ribière, sorti cette année.
L’histoire se passe dans les années trente, à Paris. Elle est inspirée de la vie de Marie-Thérèse Beau alias Paula Maxa, la star du théâtre Grand Guignol. Comédienne dans ce théâtre du macabre, elle y interprète, nuit après nuit, la victime de meurtres sanglants. Cependant elle se retrouve menacée, par un vrai tueur cette fois. Jean, jeune journaliste à la recherche d’un scoop, découvre que cet homme fait partie du passé de la jeune femme. Il espère pouvoir aider Marie-Thérèse à s’enfuir. Va-t-elle mourir sur scène ou échapper à ce destin tout tracé ? Là est l’intrigue du film.
Pourtant, à la sortie de la séance, une autre question me trotte dans la tête : quelle est la part de vrai dans ce film ? Démêlons la fiction de la réalité.
Le Grand Guignol
Le succès du théâtre le Grand Guignol n’est pas du tout une fantaisie du réalisateur. Il a bel et bien existé et était tout aussi subversif que dans le film.
Le théâtre a été parfaitement reconstitué pour le film, la salle toute en largeur et les statues pendues au balcon existaient bel et bien. La salle étant très petite (uniquement 280 places), le théâtre était souvent complet et les laissés pour compte se pressaient devant la porte pour pouvoir entendre Paula Maxa crier. Les pièces jouées dans le film sont également très proches de la réalité.
De plus André De Lorde, le scénariste interprété par Michel Fau, a bel et bien existé : il était surnommé « Le prince de la terreu r». Paul Ratineau, le génie des effets spéciaux, n’est pas non plus une invention. Le sang utilisé aujourd’hui dans le monde du théâtre et du cinéma est pratiquement le même que celui mis au point par celui-ci. Pour finir, le psychologue Alfred Binet participait en effet à la réalisation des spectacles.
Le Petit Journal
Le Petit Journal, quotidien pour lequel le jeune journaliste Jean écrit, a, lui aussi, bel et bien existé. Il paraît pour la première fois en 1863 et connaîtra son heure de gloire en suivant de très près l’Affaire Troppmann de septembre 1868. Ce fait divers macabre aura tellement de succès que le Petit Journal fera du fait divers la base de la stratégie éditoriale du journal. Le « Tueur de la butte » a lui-même également existé bien qu’il ne s’en soit jamais pris à la comédienne du Grand Guignol. Jean n’a pourtant jamais existé et est une pure invention du réalisateur.
La vie de Paula Maxa
Marie-Thérèse Beau (interprétée par Anna Mouglagis dans le film) était la vedette du Grand Guignol de 1917 à 1933 et performait sous le nom de Paula Maxa. Plusieurs documents attestent de son existence. Elle a elle-même plusieurs fois témoigné de sa vie au théâtre et de son surnom de « femme la plus assassinée du monde ». Comme dans le film, elle dit s’être fait violer dans son adolescence, et ce à deux reprises. Elle explique avoir pu tirer de ces expériences traumatisantes sa capacité à jouer des rôles de victime. Cependant le contexte de ces viols n’a rien à voir avec celui mis en avant dans le film.
Elle n’a jamais non plus été harcelée par un réel assassin, du moins à notre connaissance, et la fin de sa carrière au Grand-Guignol ne ressemblait en rien à celle mise en avant dans le film. Elle a pourtant quitté le théâtre pendant un certain temps en terminant sa dernière apparition sur scène par une disparition ce qui a inspiré la fin du film à son réalisateur.
Quand on lui pose la question du rapport réalité/fiction dans son film, Frank Ribière répond en riant : « Ce qui est vrai dans le film est vrai et ce qui est faux est faux ». Réponse énigmatique qui permet pourtant de mieux comprendre ce rapport flou entre réalité et fiction. Concrètement le contexte, les lieux et les personnages ont tous existés ou presque. C’est le dénouement de l’histoire et des relations entre ces personnages qui est inventé. Cependant, il est important de mettre en avant que ce flou existe également dans notre vie de tous les jours, comme le précise Frank Ribière en expliquant que, même lorsqu’on se renseigne sur la vie de Marie-Thérèse Beau, « on ne sait pas quelle est la part de vérité, de souvenirs floutés ou d’inventions ».
La 18e édition du NIFFF se déroule du 6 au 14 juillet 2018.
Infos et programme complet sur www.nifff.ch.
Cinéma
« My Foolish Heart », le film poignant sur la mort de Chet Baker
« My Foolish Heart », un drame néerlandais signé Rolf Van Eijk a été présenté hier au au Geneva International Film Festival (GIFF). Le film – projeté pour la première fois à l’internationale – était nominé dans la catégorie « Compétition internationale de longs métrages ».
L’histoire se base sur des faits réels : le décès du trompettiste prodige Chet Baker, joué par Steve Wall. Il est retrouvé mort, en 1998 à Amsterdam, tombé de la fenêtre de son hôtel. Le détective Lucas (Gijs Naber) décide d’enquêter sur les derniers jours du jazzman. Il se lance alors dans une investigation tourmentée, durant laquelle ses recherches le confrontent à ses propres démons…
Quatre années de travail acharné, avec un petit budget, ont été nécessaires pour tourner le film. Rolf Van Eijk a lu énormément de livres biographiques, mais est surtout allé à la rencontre des personnes qui côtoyaient Chet Baker au quotidien, dont son docteur, entre autres. Ainsi, de nombreuses anecdotes du film ont été racontées directement par des proches de Chet Baker.
Le film est plein d’émotions, fortes, lourdes. Les dialogues sont courts, criards, marquants, souvent remplacés par des silences parlants et des regards qui s’étendent jusqu’à vous transpercer. Et là, submergés par l’émotion, vous ne pouvez que vous cramponner au siège, reculer votre tête pour essayer de distancer cette brutalité que l’on vous jette à travers l’écran.
Les bruits sont exacerbés. Le sol crépite. Les respirations sifflent. Chaque son nous plonge un peu plus dans une intimité particulière avec les protagonistes, au début gênante puis attachante. À tout moment, la musique s’entremêle à la projection, la puissance du jazz nous emporte, nous hypnotise.
Une histoire brutale s’entre-choque avec l’esthétique chaleureuse du long-métrage. Même si la majorité du film se déroule dans la pénombre, les images sont douces et rassurantes. Leurs tons cuivrés et orangés rappellent subtilement cet univers feutré et tamisé du jazz et plus particulièrement, la trompette..
Les différents interrogatoires durant l’enquête présentent une réalité différente, crue et violente. La solitude. Une solitude destructrice. La vie du musicien que l’on découvre au fur et à mesure agit comme un miroir sur le détective. Leurs histoires se ressemblent, les mêmes scènes se succèdent…
Le tueur, est-il arrêté ? Est-ce réellement un meurtre ? Ou alors un suicide ? Un accident ? La chute est si parfaite que je ne peux vous la révéler ici …
Après une bonne heure et demie, les lumières se rallument. Le film se termine et quelques sanglots brisent un silence, qui reflètent l’opinion unanime d’un public touché et conquis.
Cinéma
« Wij », un film déroutant sur l’adolescence
Adaptation d’un roman de 2009 d’Elvis Peeters qui avait fait grand bruit en Belgique flamande, « Wij » se base sur une histoire vraie. Le film de Rene Eller est une histoire violente, autant psychologique que physique. L’image est belle, léchée, graphique et lumineuse. Sous ses airs de film pour ado, où les romances et les premiers émois se font sentir, se cache une histoire d’excès, de manipulation et de perdition.
En rentrant dans la salle Pitoëff, le lieu central du Geneva International Film Festival – le GIFF pour les intimes – j’entends une personne âgée dire derrière moi qu’elle est venue voir le film car « pour une fois un film sur les jeunes n’a pas l’air trop violent ». C’est la première personne à être sortie de la salle en fin de séance, bouleversée.
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« Wij » (« we »en anglais, ou « nous » en français) c’est l’histoire de huit adolescents, quatre filles, quatre garçons. Ils s’ennuient un été et décident de s’occuper. Les premières minutes du film nous portent à un procès en Belgique flamande aux bordures des Pays-Bas. On se questionne, on ne sait pas qui accuse qui, ni comment, ni pourquoi… Mais on sait que quelque chose d’horrible s’est déroulé. On suit alors tour à tour ces jeunes selon leurs perspectives, leurs manières de comprendre ce qui s’est passé cet été-là. Le film est découpé en quatre parties. Quatre univers musicaux, quatre voix off, quatre versions différentes de la même histoire. Racontés du point de vue des protagonistes, des éléments sont omis. Le spectateur est laissé ainsi, à lui de reconstruire les liens.
Ces jeunes jouent. Ils jouent avec les jeux de la société dans laquelle ils vivent, avec le sexe, avec la pornographie, avec l’argent, avec la politique et avec le sexe tarifé. Ils poussent les limites, tirent de plus en plus. Pour finir, on a l’impression que c’est le film lui-même qui joue avec nous et nos ressentis. Notre génération s’identifie aux personnages et on s’y attache, au point d’être gêné par la tournure des événements. Certaines scènes nous retournent, j’ai senti mon utérus se tordre sur lui-même lors d’une scène d’avortement. Les scènes de sexe sont crues et gênantes.
C’est après un casting de presque deux ans que le réalisateur Rene Eller a trouvé ses protagonistes. Il les a alors rassemblés pour adapter le scénario et parler des limites de chacun, de ce qu’ils étaient prêts ou pas à faire face à la caméra. Le réalisateur nous avoue après la projection ne pas leur avoir demandé quelque chose pour le film, qu’il n’était pas prêt à faire lui-même. C’est notamment par cette phase de réécriture qu’il a réussi à créer une vraie énergie de groupe entre les acteurs, ce qui se ressent à l’écran.
Rene Eller nous pousse à nous interroger sur notre société qu’il décrit comme en « crise existentielle » et où la jeunesse serait en perte de repères. Il dépeint dans son film les peurs qu’il peut en avoir. «Wij » est un film qui nous questionne face à notre propre sortie de l’enfance. Aux limites que l’on s’est imposées et qui se sont imposées au cours de notre adolescence. On en sort perturbé, choqué mais peut-être pas aussi pessimiste que son réalisateur.
La 24èmeédition du GIFF continue jusqu’au 10 novembre à Genève
Informations et billetterie sur le site du GIFF.