Psycho
La langue que nous parlons exerce-t-elle un impact sur notre psychologie ?
Que ce soit pour les voyages, la sphère professionnelle, la culture, ou bien d’autres domaines encore, il n’a jamais été aussi profitable d’être multilingue qu’aujourd’hui. Mais évoluer en développant plusieurs façons d’appréhender et décrire le monde, est-ce réellement sans conséquence ?
La pensée, la langue, le langage. La combinaison de ces trois paramètres a permis à l’être humain de développer et structurer un des outils les plus précieux qui soit pour tout individu vivant en société : La communication. Depuis la chute de la tour de Babel, les langues ont fait un sacré bout de chemin et se recensent aujourd’hui à environ sept-mille autour du globe. C’est depuis quelques siècles maintenant qu’on soupçonne que les langues puissent être conductrices d’autres choses qu’uniquement de la transmission d’informations. Dans le courant des années 1930, les linguistes Edward Sapir et Benjamin Lee Whorf étudient une hypothèse qui fera couler beaucoup d’encre dans la sphère la linguistique de l’époque.
L’idée que les pensées puissent être déterminées par les catégories offertes de la langue du locuteur est l’hypothèse tributaire des travaux des deux linguistes. Cette théorie, mieux connue sous le nom de « déterminisme linguistique », a d’abord été accueillie avec un grand enthousiasme. Cependant, faute de preuve scientifique, elle sera délaissée dans les années 1970, au profit d’hypothèses d’un langage universel de la pensée, représenter de concepts et symboles, qui ne ferait qu’« habiller notre pensée de mots chaque fois que nous communiquons ». (Pinker, S. 2003)
Affirmer que nos représentations du monde sont dépendantes des langues, et peuvent varier de l’une à l’autre était probablement trop ambitieux comme postulat. De récentes recherches ont néanmoins prouvé que même si elle ne la détermine pas complètement, la langue que nous parlons peu avoir une influence notable sur notre psychologie.
La langue comme porte d’accès à une autre facette de notre personnalité ?
Magarita est une Russo-Américaine arrivée aux États-Unis à l’âge de 19 ans. Aujourd’hui installée en Amérique, elle maîtrise parfaitement l’anglais en plus de sa langue maternelle. Elle explique, dans une étude relayée par le « Quartz », qu’elle se sent « réservée », « mal à l’aise » quand elle parle dans sa langue maternelle. À contrario de l’anglais, où quand elle le parle, elle se décrit comme « libre » « curieuse », et « extravertie ».
Ce phénomène n’a rien d’étrange pour Nairan Ramírez-Esparza, spécialiste en psychologie sociale à l’université du Connecticut. D’après ses recherches, les valeurs culturelles portées par la langue du locuteur auraient une influence notable sur la psychologie de ce dernier. En ce sens, des locuteurs mexicano-américains soumis à des tests de personnalité ont manifesté quelques différences en fonction de la langue par laquelle ils ont répondu. C’est en anglais que les individus ont eu tendance à mettre en avant leurs projets professionnels, les relations avec les collègues et les réalisations personnelles, alors qu’en espagnol c’est plutôt les relations familiales et amicales qui ont été évoquées. Pour la spécialiste, ces résultats font échos aux valeurs culturelles véhiculées par la langue.
En effet, la culture américaine est souvent perçue comme individualiste et prônant l’affirmation de soi-même, alors qu’au Mexique, il s’agit plutôt de l’appartenance à une collectivité qui prime sur l’individu. Ces résultats conduisent donc la psychologue à affirmer que « La langue n’est pas séparable des valeurs qu’elle véhicule, et chaque locuteur se perçoit lui-même différemment au travers des valeurs que porte la langue qu’il utilise ».
En somme, bien qu’aujourd’hui l’idée d’un découpage de la pensée par la langue soit quasiment unanimement rejetée par la sphère scientifique, il est reconnu que la variation d’une langue à l’autre peut entraîner un impact psychologique chez le locuteur, notamment au niveau de sa personnalité. La langue se présentant comme un élément indissociable de la culture, elle porte avec elle les valeurs rattachées à la civilisation. Dans cette perspective, un habitant suisse, parlant couramment deux de nos langues nationales, n’aurait pas à craindre une fluctuation de sa personnalité en fonction de langue qu’il utilise, pour autant que nos valeurs concordent bien d’un bout à l’autre du pays.
L’Instinct du langage
Steven Pinker
Éd. William Morrow and Company, 1994 – 493 pages
Livres
« Trois amis en quête de sagesse » #2 : l’Altruisme au quotidien
Selon Fiodor Dostoïevski, nous raconte le philosophe suisse Alexandre Jollien, il serait plus facile d’aimer l’humanité tout entière que de supporter son voisin. Le célèbre écrivain russe avait sans doute de l’humour, mais également raison.
Toujours plongée dans les entrailles du livre « Trois amis en quête de sagesse », paru en 2016 et co-écrit par Alexandre Jollien, Christophe André, psychiatre français, et par Matthieu Ricard, célèbre moine bouddhiste, cette petite tribune littéraire tente d’explorer cette fois le concept de l’altruisme. Pourquoi ? Car il me semble qu’il y ait confusion sur ce terme pour quelques-uns d’entre nous.
Exemple 1 : l’altruisme, c’est laisser sortir les gens du bus avant d’y entrer – ou, au moins, laisser sa place à la petite dame qui tangue, au rythme des saccades de l’engin. Exemple 2 : l’altruisme, c’est ne pas mâcher son chewing-gum comme un effréné à côté des oreilles des autres dans le métro. Exemple 3 : l’altruisme, c’est, selon les trois camarades, des petits actes de bienveillance envers l’autre au quotidien.
C’est donc grâce aux transports en commun que ma chronique est née, puisque je me suis rendu compte que beaucoup ne le connaissent pas – l’altruisme –, ou du moins ne le pratiquent pas un minimum au quotidien.
L’altruisme au quotidien
Mais, justement, qu’en disent les trois amis, qui, sagement, nous invitent à plus de douceur dans notre vie de tous les jours ? Pour Christophe André, psychiatre du positif, faire preuve d’altruisme c’est, pour commencer, prêter de l’attention à son prochain, à ses besoins, et agir pour l’aider. Matthieu Ricard, maître du bouddhisme tibétain, le rejoint en expliquant : « L’altruisme, ou l’amour altruiste, c’est essentiellement faire le bien des autres. »
En dernier lieu, et il y aurait pourtant tant de choses à dire, « se lancer dans l’altruisme, c’est finalement, s’échapper de prison, s’affranchir de l’ego. », nous explique un peu plus loin dans le chapitre le Valaisan Alexandre Jollien. Car au contraire de l’égoïsme, on peut faire preuve d’altruisme en mettant notre petit moi de côté pendant quelques instants, dans des petits actes quotidiens de bienveillance comme cités plus haut – par exemple.
Attention toutefois, bienveillance et compassion riment avec altruisme et les trois auteurs nous mettent en garde contre une possible confusion : agir de telle façon ne signifie ni être niais ou faible, mais à l’inverse, cela démontre une certaine force, un courage et une sagesse d’ouverture à l’autre. En effet, en faisant preuve d’altruisme, on se fait du bien à nous-mêmes et aux autres, dont on a parfois aussi besoin.
Alors, pourquoi ne pas, dès à présent, mettre son ego dans la poche et agir de façon bienveillante envers nos proches ou dans un lieu public, et, juste, penser à faire quelque chose pour quelqu’un d’autre que soi ? Mettre ses « lunettes roses », et essayer de voir le monde de façon moins autocentrée et ce, même si l’on a une vie intense, est-ce possible ? La réponse des trois acolytes ne se fait pas attendre: Oui, si l’on s’entoure des autres et que l’on n’attend pas forcément quelque chose en retour de notre petit geste bienveillant. Le simple fait d’agir de façon altruiste devrait suffire à nous combler. Comme le dit si bien le philosophe Jollien, en opposition à la maxime de la pièce de théâtre « Huis clos » de Jean-Paul Sartre : « Je ne crois pas que l’enfer, ce soit les autres. ». À méditer.
Trois amis en quête de sagesse
Christophe André, Alexandre Jollien et Matthieu Ricard
Éd. L’Iconoclaste et Allary Éditions, 2016 – 480 pages
Livres
« Trois amis en quête de sagesse » #1 : l’Ego n’est pas réel
Tout le monde a une idée, si vague soit-elle, de ce que représente l’ego. Il n’y a qu’à se faire dévaloriser en public alors que notre cher être, notre petit moi, aurait mérité bien meilleur traitement pour que l’on se rappelle que l’ego existe. Hic qui n’en est en fait pas un, il serait bien logé en nous, mais sans être pour autant véritablement réel. Explications.
Je me lève un beau matin d’avril dernier, de bonne humeur certes, mais le livre feel good intelligent, posé sur ma table de chevet me faisant tout de même allégrement de l’œil. Pourquoi ? Parce qu’en plus qu’amatrice assidue de lectures diverses, il s’avère que je me suis découvert un certain penchant, osons la litote, pour trois amis… en quête de sagesse. Sorti en 2016, « Trois amis en quête de sagesse », le livre de Christophe André, Alexandre Jollien et Mattieu Ricard, m’a alors, ce matin-là, fait découvrir une chose bien intrigante : l’ego serait illusoire. Je remets donc mes coussins en place et m’y ancre pour boire les mots du psychiatre français et de ses deux acolytes, le philosophe suisse et le moine bouddhiste qui, par cette approche pluridisciplinaire sous forme de discussion et d’échanges, me ravissent et me questionnent en même temps.
L’égo
Composé de désirs, de peurs, d’émotions, et de représentations, selon les dires du théoricien bienveillant Alexandre Jollien, auxquelles l’on se cramponne, il maintiendrait en vie dans notre esprit, une entité imaginaire. Concept abstrait, illusion, soit, mais surtout véritable collier de fer entravant le bonheur si l’on en est esclave, l’égo serait alors irréel. Dans quel sens me direz-vous peut-être. J’anticipe donc, essayant de satisfaire une possible curiosité ainsi piquée, en citant le maître du bouddhisme tibétain Matthieu Ricard : « Il suffit d’examiner un peu cet égo pour comprendre à quel point ce n’est qu’une mystification dont l’auteur est notre propre esprit. » En d’autres termes, nous associerions notre corps avec notre égo alors qu’il faudrait l’allier à notre conscience, dans le cas où il s’agirait d’une « étiquette mentale » créée par notre propre esprit.
Cela étant, on apprend plus loin grâce au célèbre psychiatre et adepte de la psychologie positive, Christophe André, que la confiance en soi d’une personne narcissique est plus que fragile, parce que fondée sur un gonflement de l’égo ne faisant pas partie de la réalité. On se fabriquerait alors nous-mêmes cette sensation désagréable, causée, entre autres, par un lourd sac de frustration. Mais pourquoi diantre faire une chose pareille ? Car nous sommes des êtres humains sensibles, tout simplement (eh oui). À ce propos, le philosophe valaisan Alexandre Jollien nous met en garde un peu plus loin dans le chapitre : « L’égo n’est pas là pour nous rendre heureux. » Que l’on manque alors de confiance en soi ou que l’on soit fils de Narcisse, l’égo nous donne du fil à retordre. Irréel, il nous cause pourtant de vrais tourments.
Comment s’en sortir, donc ? Outre le fait de pratiquer la gratitude et la bienveillance, de s’alléger l’esprit (et le fardeau) par bien des façons ou d’apprendre à s’aimer, il nous resterait une chose encore pour contrer le paradoxe de cette étiquette imaginaire que l’on se colle pour notre plus grand mal. L’autodérision.
Voilà qui est rassurant… pour autant que l’on sache en faire usage.
Trois amis en quête de sagesse
Christophe André, Alexandre Jollien et Matthieu Ricard
Éd. L’Iconoclaste et Allary Éditions, 2016 – 480 pages